Quelle Savoie ? Les Fripons de Gilles Berlioz dans les pensées verticales et environnantes

Nicolas Barbato il est comptable, photographe par passion, collabore avec Repubblica Torino, possède son propre blog (https://oldbastardmontrachet.wordpress.com/) et sait écrire. Nous adorons le lire ici sur Intravino. [a. m.]

« Il faut trois choses : la vigne, le temps et la délicatesse »*

La flambée des prix des vins des appellations françaises les plus connues (Champagne, Bourgogne, Bordeaux, avec le quatrième inconvénient de la Loire) au cours des dix/quinze dernières années a impacté le commerce du vin en Italie de deux manières : elle a augmenté le nombre d’entreprises. de distribution avec la promesse d’une richesse facile et conduit à la recherche de nouveaux territoires à piller, pour titiller la curiosité des buveurs les plus curieux (endurcis).

Ainsi le Jura se vide, le Beaujolais devient fondamental et les possibilités du Languedoc commencent à être explorées. Et le Savoie?

Située juste au-delà des Alpes, on ne peut pas dire que la Savoie soit un territoire inconnu, du moins pour ceux qui vivent dans le Piémont. Mais certes, et curieusement, ses vins ont rarement transité par notre sol natal. Pensons à la différence avec les vins du Jura, bien plus éloignés géographiquement que la Savoie, qui ont certainement bien interprété les tendances de la mode, notamment en matière de blancs naturels. Sauf que maintenant, ceux-ci sont eux aussi devenus chers et la chasse au nouveau a repris.

Étiquette c’est une société de distribution à Turin spécialisée dans les vins français avec laquelle j’ai des relations commerciales exclusives de longue date (j’achète leurs vins et ils ne me font même pas de remise). Le fait est que Dario Pépinodeus ex machina de la distribution, a des goûts que j’ai souvent trouvés proches des miens, notamment sur les blancs et les champagnes, ainsi qu’un flair incroyable pour repérer les producteurs émergents avant les autres.

J’ai donc accepté avec curiosité l’invitation à participer à la verticale du vin le 11 mars Les Fripons De Gilles Berlioz, vigneron savoyard qui connaît actuellement également du succès en Italie, du moins auprès des passionnés. Il s’agit d’une réplique presque fidèle de la verticale organisée au Slow Wine Fair de Bologne en février dernier, à laquelle Berlioz était également présent.

Deux mots à son sujet me semblent appropriés.
Agé de 62 ans, il a commencé à travailler comme vigneron il y a un peu plus de trente ans, en travaillant d’abord sur un seul hectare de terre. Chignin. Après une dizaine d’années, avec sa femme Christine, à qui est dédiée la cuvée la plus importante de l’entreprise, s’est consacré à l’agriculture biologique, puis est tombé amoureux des pratiques biodynamiques. Aujourd’hui, l’entreprise mesure moins de cinq hectares et produit environ 25 000 bouteilles chaque année.

Un choix bien précis : s’il y avait plus d’hectares, il serait impossible de suivre personnellement les vignes, il faudrait introduire la culture mécanique et il faudrait abandonner le cheval bien-aimé. Oui, Berlioz est un type particulier, ce qui est très utile pour même devenir un mythe (je connais quelqu’un pour qui il l’est). Taciturno, autodidatta in viticoltura e vinificazione, rifiuta le sovvenzioni statali per non dipendere dallo Stato francese (la mancanza di queste sovvenzioni rende le sue bottiglie non sempre economiche per il consumatore), paga ai suoi dipendenti salari più alti della media dei suoi colleghi vignaioli e , surtout, Il ne boit pas de vin mais de la bière.

Sa philosophie l’a amené à créer le Domaine Partagé, un domaine idéal fondé, comme son nom l’indique, sur le partage d’expériences avec ses agriculteurs voisins et sur la solidarité. Dans ses vignes, il est travaillé à la main, avec l’aide du fidèle cheval, selon les préceptes de la biodynamie et sans utilisation de produits systémiques ni d’herbicides. Pressurage doux et vinification avec des levures indigènes dans des récipients en fibre de verre avec affinage ultérieur également en acier ou en fibre de verre. Je mentionne, pour les amateurs du genre, l’usage limité du dioxyde de soufre. Les bouchons de bouteilles sont strictement fabriqués en liège d’excellente qualité, très longs.

Avec la verticale, il a été décidé de vérifier le comportement de ces importants blancs savoyards au fil du temps, en essayant d’interpréter leur potentiel. Le choix s’est porté sur l’une des trois cuvées de la maison, Les Fripons. c’est-à-dire les scélérats. Et les étiquettes, dont l’esthétique change radicalement chaque année, sont en effet dédiées avec beaucoup d’imagination aux enfants qui travaillent dans l’entreprise.

Ainsi que Les Filles, une autre cuvée Berlioz, est dédiée aux filles. Ce sont deux vins nés sur la même parcelle mais issus de deux parcelles distinctes aux caractéristiques différentes. Si Les Filles sont un vin plus immédiat, Les Fripons, issus d’un sol plus calcaire, demande du temps. La troisième cuvée, Christine, est issue d’une sélection de raisins du vignoble Les Filles.

Berlioz embouteille et commercialise les vins millésimés précocement, comme cela se fait dans de nombreuses régions de France, sans long vieillissement en verre. Il y a maintenant le 2022 sur le marché mais dans la verticale l’accent était mis sur l’évolution et nous n’avons donc dégusté que les vins de période de cinq ans 2014-2018. Le cépage est Roussanned’origine rhodanienne mais également répandue en Savoie, notamment à Chignin.

Par rapport au Rhône. la roussanne apporte ici des caractéristiques différentes aux vins, qui ont un profil aromatique particulier, avec la présence également de notes d’herbes de montagne, et présentent (généralement) une plus grande acidité. Climat alpin avec des sols à dominante granitique et des altitudes modérées.

On fait notre bouche avec le Jacquère 2012, issu du cépage le plus répandu en Savoie (environ 50% des vins ici sont élaborés à partir de jacquere) qui, en vérité, semble être dans une phase de lassitude. Commençons donc par le poirier proprement dit. Les vins sont servis dans séquence vintage ascendantemais commençons à parler seulement après les avoir tous goûtés.

Ce qui suit est une sorte de courant de conscience collectif rapporté au fur et à mesure qu’il s’est développé parmi les participants à la dégustation, qui étaient :
– Dario Pepino, propriétaire de la distribution L’Etiquette
– Gabriele Rosso, conservateur adjoint national de Slowine et collaborateur de L’Etiquette
– Carlotta Fea, collaboratrice de L’Etiquette
– Elio Sandri, vigneron à Monforte d’Alba
– Luna Sandri, vigneronne à Monforte d’Alba
– Erika Mantovan, journaliste gastronomique et œnologique
– Sara Piovano, communicatrice du vin
– Enzo Gola, propriétaire du restaurant Ca’ Mentin à Revigliasco
– Giuseppe Amato, vigneron à Corneliano d’Alba
– Paolo Fantini, propriétaire du restaurant Scannabue à Turin
– Jonathan Gebser, conservateur adjoint national de Slowwine
Attilio Granelli, propriétaire de la cave Here à Turin et collaborateur de Slowwine


Dario : « Jacquere m’a surpris par ses notes iodées et son équilibre instable. Une musique complètement différente avec la roussanne, quelle que soit l’année, on voit ici le net changement dans le style de Berlioz.”
Elio : « Oui, on sent aussi une grande minéralité au nez, avant de déguster »
Dario : « La minéralité est évidente surtout dans les vins plus âgés »
Erika : « Le 2018, malgré quelques années en bouteille, est encore gras, avec des arômes toujours primaires. Le 2017, en revanche, est celui qui parle le mieux la langue de la Roussanne et me semble le plus adapté en ce moment.”
Gabriele : « Je trouve folle la luminosité qui émane du 2014, comme si elle reflétait la lumière fraîche et éblouissante des montagnes. Bien sûr, cela vient d’une année froide, mais ce seul fait ne suffirait pas. Et j’ai envie de dire que 2018 pourrait à nouveau suivre le même chemin. Il y a deux années qui, d’une certaine manière, se parlent”
Elio : « 2015, 2016 et 2017 sont les vins où je ressens le plus la glycérine et il y a ces sensations mielleuses et grasses qui prédominent. Au contraire, 2014 et 2018 sont plus axés sur la fraîcheur, je les reconnais comme des vins de montagne.”
Gabriele : « Le 2016 a de la matière comme le 2015 et le 2017 mais beaucoup moins de chaleur, ce qui distingue le plus le 2017 »
Sara : « 2015 me semble être la moins ciblée, du moins pour le moment, probablement à cause de l’année chaude »
Dario : « En fait, il est différent des autres »
Elio : « Certes, 2014 et 2018 sont des vins très similaires en perspective. Ce sont les deux extrêmes chronologiques et ils me semblent être les meilleurs de la batterie”
Giuseppe : « Je suis d’accord avec la remarque selon laquelle le 2018 manque d’une touche de fraîcheur par rapport au 2014. Mais la comparaison tient. »
Elio : « C’est dommage pour le 2015, vraiment fatigué. J’ai l’impression de porter un toast que je trouve excessif”
Giuseppe : « C’est la chaleur de l’année. Le 2014 a cependant une légèreté qui manque à tous les autres.”
Elio : « Avec les années chaudes, il faut faire plus attention à la maturation des raisins. C’est aussi comme ça dans la Langa”
Jonathan : « 2016 me paraît très complexe. Bien entendu, le 2014 se démarque des autres millésimes. Par contre, dans le 2015, qui est le moins considéré aujourd’hui, il y a une part salée qu’il ne faut pas sous-estimer et qui le soutient.”
Gabriele : « Mais le 2015 me déçoit. Gilles (Berlioz) l’a également dit lors de la dégustation à Bologne. Il s’attendait à ce que ce soit plus tendu, peut-être aussi à cause de cette traînée de sel.”
Dario : « J’ai organisé cette dégustation pour mieux comprendre à quoi s’attendre de l’évolution de ces vins. Mais aussi parce que je cherche une manière de présenter les vins de Savoie comme des enfants de leur territoire et c’est beaucoup plus difficile que pour d’autres terroirs viticoles.”
Enzo : « La Savoie est certes complexe, mais ses vins méritent d’être connus. En Savoie, il existe des vins complexes et on vend des vins complexes, par exemple ceux du Domaine des Ardoisières, qui sont tout sauf banals. A un passionné curieux, à la place d’un Bourgogne vous pouvez essayer d’offrir un Savoy”
Gabriele : « Il y a beaucoup de mouvement dans ces zones. Le Domaine de Chevillard fait un excellent travail sur la jacquère. Ce sont des vins plus légers que ceux-là et très minéraux”
Erika : « Le problème, c’est l’identification. Pour quelle variété la Savoie est-elle connue ? Ce lien est manquant. C’est plus facile de penser à la Savoie pour les fromages”
Gabriele : « Pour me concentrer sur une véritable identité variétale, je choisirais l’altesse : avec l’altesse on peut faire de grands vins »
Enzo : « Autrefois, beaucoup de mondeuse venaient ici, mais le nom ne faisait pas son chemin »
Erika : « Et il y a aussi le problème que les producteurs sont petits et fabriquent peu de bouteilles »
Dario : « C’est vrai, il y a beaucoup de jeunes producteurs. Par exemple Matthieu Goury du Domaine de Chevillard. Qui n’est pas déclaré biologique ou biodynamique car il n’a pas d’argent pour certifier. Il avait un autre travail avant de se lancer dans le vin. Mais il y en a beaucoup comme lui, et ils se sont tous inspirés du travail de Brice Omont et Michel Gisard du Domaine des Ardoisières évoqué par Enzo et qui était au départ une coopérative »

Pour ma part j’ai préféré le 2014, tant pour une dynamique de gorgée plus agile que pour ses notes balsamiques au nez et salines en bouche. De manière générale il me semble que dans les années froides Les Fripons ont un avantage et cela me frappe un peu compte tenu du cépage choisi. Comme il se doit, Berlioz interprète les millésimes et les différences entre les vins dégustés sont évidentes.

La Savoie est sans aucun doute une région viticole à découvrir : on ne vit pas seulement de la Chartreuse (verte). Mais pour qu’il devienne populaire, il existe un obstacle majeur : l’absence d’une identité viticole, qui fait la différence partout dans le monde. Pensez simplement aux cépages qui nous viennent immédiatement à l’esprit lorsque l’on parle de Bourgogne ou de Moselle. Berlioz décide plutôt de se concentrer sur la roussanne, qui, bien que présente depuis quelques temps en Savoie, évoque automatiquement le Rhône. Et il y a une autre difficulté, du moins pour nous en Italie, c’est la résistance que nous opposons lorsque nous nous approchons d’un goût différent de celui auquel nous sommes habitués. Notre goût est stratifié, sédimenté, mais c’est souvent aussi ce que nous imposent les modes récentes. Et il y a la nécessité, qui s’applique toujours à tous les vins, mais dans ce cas encore plus, d’apprendre la patience.

Les Fripons

Gabriele : « Écoutez maintenant le 2018 : il fait ressortir des notes de café en poudre. Ce sont des vins à attendre. Dans le verre et pas seulement dans le temps.”

*Elio Sandri lors de la dégustation.

[Il prezzo medio in enoteca di Les Fripons è di circa 45 euro]

Nicolas Barbato

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