1485KHz (2024) de Michele Pastrello – Critique

Avec 1485 kHz Michele Pastrello revient à l’horreur, dans une histoire qui mêle maisons abandonnées, métaphonie et exploitation au travail. Une œuvre fièrement indépendante qui réunit bon nombre des suggestions cinématographiques chères au cinéaste vénitien. Présenté en avant-première chez Extramondi.

La voix du maître

Une femme de ménage se retrouve obligée – par son besoin de travailler – d’aller nettoyer une maison prolétarienne dans un endroit reculé, dans les montagnes. Avant elle, une collègue non européenne avait été envoyée sur place, mais aucune trace d’elle n’a été perdue. Une fois arrivée à destination, l’endroit s’avère à la fois sinistre et isolé. Mais la nécessité de gagner un salaire la conditionne à continuer. [sinossi]

Je ne sais pas ce qui est arrivé à ce Moldave que j’ai embauché, crie-t-il dans un message vocal maître du protagoniste de 1485 kHz tandis qu’elle roule sur des sentiers de montagne isolés, dans des zones où les êtres humains ne semblent même pas avoir mis les pieds, et s’ils l’ont fait, ils ont abandonné ces lieux depuis des temps immémoriaux. Oui, qui sait ce qui est arrivé à cette pauvre citoyenne non européenne, et qui sait avec quelle vague promesse de paiement elle a été envoyée dans ce trou d’un monde oublié par diverses divinités, qu’elles soient bienveillantes ou malveillantes. Il y a un pont à traverser, pour la femme et pour la voiture, après le long voyage, et c’est le pont qui sépare métaphoriquement en quelque sorte deux mondes, qui pourtant sont le miroir de l’autre. Il y a une citation selon laquelle lorsque l’écran est encore noir, il s’ouvre 1485 kHz, et qui dit « Notre seigneur maître est aussi bon que le bon pain, debout au sommet du talus il dit : « Laissez aller ces mains » » ; c’est la traduction italienne d’un des passages les plus célèbres du chant des sarcleurs de riz Sciur padrun à partir de là, beau braghi blanc, et qui dans l’original sonne « Al nòstar sciur padrun l’è bon cum’è ‘l bon pan, de stèr insima à l’èrzan a’l diz : « Fè andèr cal man » ». Alors cette référence au Moldave a disparu dans les airs sans avoir achevé la tâche Travailcombiné à la menace inhérente au même message envers le protagoniste (“si vous ne terminez pas le travail, vous êtes hors du monde stratégie entreprise ») et à cette interférence radio qui superpose les notes de sur la voix du journal radio Si huit heures vous semblent trop peu – un autre élément fondamental de la lutte des sarcleurs de riz, également crucial pour ce moment de soulèvement prolétarien qui a marqué la Biennale Rouge – donne immédiatement la perspective politique du nouveau travail de Michele Pastrello.

Pas même douze mois avant d’être excellent Inmusclâgrâce à quoi c’était arrivé intrusion du Pastrello vénitien dans le Frioul, sa nouvelle terre d’adoption, le voici donc 1485 kHz, filmé dans les villages microscopiques de Bosplans et Chievolis, ce dernier étant un hameau de Tramonti di sopra, dans la région de Pordenone. Un vitalisme de mise en scène renouvelé pour Pastrello, grâce aussi à la contribution de Lorena Trevisan ici aussi – comme dans l’œuvre précédente – excellente et presque la seule interprète (à l’exception de l’apparition terrifiante d’Emiliano Grisostolo et de la voix susmentionnée sur le répondeur de Marco Marchese, déjà interprète dans des lieux pas très différents de Au-delà du gué de Lorenzo Bianchini. Et il est intéressant de noter que tout comme Bianchini, Pastrello s’est également perdu dans la brousse du furlan vous réajustez votre regard sur des perspectives horrifiantes, qui manquaient manifestement à votre filmographie depuis plus d’une décennie. En fait, il faut remonter aux débuts de Pastrello pour trouver les traces d’un discours de genre qui ne s’émousse pas dans des dynamiques expressives plus métaphysiques et mystiques : 1485 kHz regarde des côtés de 32, Ultracorps, DansRessources Humaines, et il le fait avec encore plus d’intégralité, presque comme s’il fallait maintenant sécher les éléments au maximum, les désosser pour pouvoir voir les imperfections et les distorsions à la racine. En revanche, Pastrello a toujours été un cinéaste « politique », au sens le plus large et le plus étymologique du sens. Une politique exprimée dans la mise en scène de thèmes avec une forte connotation sociale – le viol du féminin et de la nature dans 32paranoïa homophobe et tendances fascistes Ultracorpsl’exploitation du travail par la guerre parmi les pauvres en DansRessources Humaines –, mais aussi dans un cadre de production qui rejette le centralisme romain d’un point de vue économique aussi bien que strictement géographique.

Il s’inscrit parfaitement dans cette recherche à la fois anthropologique et de défense du résiduel. 1485 kHzqui exploite l’hypothèse des études de Friedrich Jürgenson sur la métaphonie – une pseudo-science qui croit pouvoir enregistrer les voix des défunts au sein du soi-disant « bruit blanc » à l’aide de simples instruments radio : le titre du film fait précisément référence à la fréquence qui selon Jürgenson permettrait de faire entendre la voix de ceux qui n’existent plus matière – d’élaborer une discussion sur la mémoire de générations de classes populaires envoyées à l’abattoir puis oubliées, éloignées d’un imaginaire collectif qui ne veut même pas ouvrir les yeux sur les nouvelles formes d’esclavage que le monde du travail assume aujourd’hui . La femme de ménage se retrouvera face à des forces secrètes terrifiantes, mais ce sont toujours ces patrons qui, pendant des siècles – des millénaires – ont exploité les efforts des autres pour générer du profit, qu’il soit inhérent à la récolte du riz courbée ou au développement d’une petite maison qui pourrait peut-être devenir la « résidence secondaire » de quelque famille bourgeoise. Les codes de l’horreur sont présents de manière classique dans l’œuvre de Pastrello, comme pour dicter les coordonnées essentielles du discours: voici donc des arts qui n’apparaissent que dans le plan vidéo, des bruits indéchiffrables, des volets qui ne se lèvent plus d’un coup, des maisons abandonnées, des femmes ont mystérieusement disparu dans les airs. Pour autant, ce classicisme ne dénote pas un manque d’inventivité, bien au contraire : il faut permettre au discours politique d’avancer de manière effrayante, de s’emparer du regard du spectateur, d’augmenter son anxiété. Si le protagoniste n’en était pas un esclave – donc privée de sa propre volonté – sa vie ne serait jamais mise en danger. 2024 est-elle si différente de 1924, lorsque la Biennale rouge avait été vaincue par les forces de l’ordre et que les sarcleurs de riz étaient de retour au travail, courbés pendant une journée entière sur le dos prêt à se briser ? Les voix de la métaphonie semblent faire écho à un « non » clair. Rencontrer le cinéma autarcique de Michele Pastrello, hors du temps et de l’espace, équivaut à chaque fois à plonger dans un imaginaire puissant mais sans fioritures, essentiel et donc aussi encore plus brutal et angoissant. 1485 kHz c’est un travail dur, meurtrier, effrayant, et essentiel pour parler auAujourd’hui. Pourvu que, métaphonie ou pas, quelqu’un veuille encore écouter.

Info
1485KHz sur le site de Michele Pastrello.

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