Comment survivre à la Foire du livre

L’année dernière, la Foire du livre de Turin s’est terminée par une manifestation, celle des militantes d’Extinction Rebellion et Non uno di meno contre la ministre Eugenia Roccella, féministe mais anti-avortement et donc considérée comme le diable. Espérons que cette année – le festival s’ouvre aujourd’hui : 37 mille mètres carrés d’exposition, 800 stands, 51 salles, presque 2 mille événements – nous ne repartirons pas du même point. Car s’il est une chose qui fait peur, et qui risque de provoquer une édition très discrète sur papier, ce sont les protestations qui se transforment en censure. Ce qui, étant donné que le Salone est le temple des mots et de la liberté d’expression, serait une curieuse contradiction dans les termes.

Oui, c’est bien : mais quelles sont les objections possibles ?

PALESTINE LIBRE

Prêts partez. L’ancien terroriste rouge Francesco Emilio Giordano, une fois reconnu coupable de faire partie du commando qui a tué le journaliste du Corriere della Sera Walter Tobagi, a appelé au boycott de la présentation du livre de l’auteur israélien Eshkol Nevo. Motif : « Les sionistes envoient ces intellectuels dans les villes pour tenter de nettoyer le sang versé en Palestine ». À partir de là, la liste des interdictions visant les écrivains et journalistes israéliens est longue. Il semblerait que le ministère israélien des Affaires étrangères ait conseillé à certains d’entre eux d’intervenir non pas en personne mais par vidéo. Et pour Salman Rushdie, qui reprend la parole en public après l’attentat subi en 2022, les mesures de sécurité au Lingotto sont particulièrement élevées. Un climat agréable.

BRIGADES RAIMO-MONTANARI

Pour inaugurer ce matin la Foire du livre, aux côtés du ministre de la Culture Gennaro Sangiuliano, il y aura également le chef de l’Éducation, Giuseppe Valditara. Sur les réseaux sociaux, le professeur Christian Raimo, ancien consultant du Salon, et le professeur Tomaso Montanari, méga recteur de l’Université pour étrangers de Sienne, le persécutent depuis le premier jour de son entrée au ministère. Compte tenu des récentes occupations dans les universités italiennes, nous espérons que les collectifs étudiants ne décideront pas aujourd’hui de faire le tour du Lingotto.

ATTENTION AU GÉNÉRAL

Ensuite, il y a la politique. Pendant la campagne électorale (il y a les élections européennes) et l’obligation d’égalité des conditions qui en découle, les hommes politiques ne peuvent pas présenter leurs livres. Une excellente chose cependant : ils sont généralement terribles. Mais ils peuvent les signer dans les tribunes. Très attendu (par les journalistes, on ne sait pas combien par les lecteurs) Matteo Salvini dans l’équipe Piemme. On dit que – dans le plein respect de l’esprit du Salon, celui de la pluralité des voix – sera amené le général Vannacci. Imaginons le spectacle. Ce sera comme aller au cinéma. Sans payer le billet.

TANT D’AMIS !

Mais le Salon du livre, ce n’est pas seulement des protestations, des conflits et des protestations. Le Salon vit aussi d’amitié. Et surtout l’amitié. S’il existe un monde dans lequel nous sommes tous amis, nous aimant les uns les autres avec une hypocrisie cordiale, c’est bien celui du livre. Les exemples sont infinis. A savoir : il y a un mois, Gian Arturo Ferrari, ancien Grand Seigneur du livre, interviewé par le Corriere della Sera, a déclaré que l’écrivain italien qu’il aime le plus est Chiara Valerio. Qui d’ailleurs en est aussi l’éditeur. Mais la question est : qui présente Gian Arturo Ferrari au Salone ? Précisément. D’autant plus que Chiara Valerio est déjà considérée comme la lauréate du Prix Strega, dont le comité est présidé par Melania Mazzucco, qui fait partie des consultantes du Salone. Bref : plus d’amis que ça.

ET COMBIEN DE PARENTS !

Ensuite, il y a les parents par le sang et ceux par alliance. Parmi les premiers on note la famille élargie de la nouvelle directrice du Salon, Annalena Benini : il y a la tante Daria Bignardi (six rencontres), il y a l’ex-mari (de Bignardi) Luca Sofri (cinq rencontres), élégamment le mari (de Benini), Mattia Feltri, a décliné toutes les invitations ; et puis il y a toute la famille Foglio, le journal de Benini. Comme disent mes enfants – en parlant de famille – « Ça va ». Après tout, au Salon de Turin, la famille, contestée au niveau patriarcal, est une tradition au niveau éditorial. Nicola Lagioia se retrouvait alors avec sa femme Chiara Tagliaferri dans une rencontre sur deux et devait gérer la grande famille queer de Michela Murgia. Mais là aussi, “Ça rentre”.

QUELLE JOIE!

À propos de Nicola Lagioia. Il n’est plus directeur mais c’est comme s’il l’était (il assiste à huit réunions). Il le mérite. Son magazine, Lucy, a une salle à elle seule et est le protagoniste de 14 rencontres. J’espère que nous pourrons tous les suivre.

DU FILM

En parlant de circuits courts littéraires-éditoriaux. La réunion qui devrait être la plus fréquentée est celle d’Erin Doom, l’écrivaine à succès qui anime la section « Romance » du Salone : le groupe de lecture des jeunes du Salone interviewera Erin Doom elle-même sur le Tears Maker, écrit par Erin Doom, qui parlera également de l’adaptation cinématographique de son Maker of Tears, un film produit par Netflix. Ce qui favorise la rencontre.

FÉMINISME TOXIQUE

En parlant de femmes. Dans une édition qui risque d’avoir pour fil conducteur la devise «Patriarcat de merde*», accompagnée d’un astérisque, il y a tellement de femmes écrivains que cette année, aux côtés de la rédaction du Salone, la directrice a également constitué une équipe éditoriale spéciale qui travaille sur le programme. Composé de : Paola Peduzzi, Igiaba Scego, Francesca Sforza, Tiziana Triana. Nous avions postulé pour y entrer. Mais il manquait une exigence dans notre programme. Malheureusement.

TOUJOURS «ANTIFA»

Ce qui ne manquera pas, évidemment et consciencieusement, ce sera une forte dose d’antifascisme, d’autant plus nécessaire dans un pays qui compte plus de fascistes imaginaires que de vrais lecteurs, et qui – dans un nouveau Turin Ventotene – sera inoculée dans chaque pavillon, hall, réunion, couloir pendant les cinq jours. Tout convergera dimanche dans la Salle Rouge, avec la cérémonie présidée par Antonio Scurati, auteur de Fascisme et Populisme. Nous y sommes déjà. Même si Serena Bortone ne sera pas là.

Péché.

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