Chère Veronica, quelle splendide folie

Véronique, je n’ai pas assez de mots pour exprimer le bonheur que ton Pelleossa m’a donné.

Tout d’abord pour l’enchantement de l’architecture complexe. Les histoires les unes dans les autres, comme dans la réalité, dans lesquelles il suffit de changer de perspective subjective pour ne pas savoir si nous sommes les protagonistes de notre propre livre ou les acteurs secondaires de ceux des autres. Ensuite, pour nous amener à réfléchir sur ce chaos qu’a été la période entre le débarquement des Américains en Sicile et le référendum qui a transformé la monarchie en République. Et comme j’ai été heureux que vous l’ayez fait à travers les yeux d’un enfant, Paolino, et – entre autres – de son vieil ami fou et sage, Filippu.

Il faut avoir la candeur des enfants et des fous pour avancer sans préjugés vers le changement. À un moment donné, en lisant, je me suis demandé s’il fallait oublier pour ne pas faire d’erreurs. Puisque ce présent semble nous dire que l’on n’apprend les erreurs que de mémoire. Tandis que les vieux – les vieux nés, je veux dire – sont convaincus qu’il faut que tout change pour que rien ne change. Comme cet illustre écrivain né dans le même pays que vous l’avez dit.

Je n’ai jamais douté que les têtes de pierre sculptées par Filippu parlaient et voyaient. Sinon, pourquoi visiterions-nous des expositions, des musées remplis de sculptures et de toiles peintes, si ce n’est pour écouter leurs histoires et changer notre regard ? Et comme j’ai aimé ton écriture faite de soufre, de mer, de sel et de sang. Des mots sortis des mains avant même les pensées.

Dès les premières lignes, vous concluez un pacte avec le lecteur : dans cette histoire, tout le monde est en scène. Vous nous confiez un rôle précis à l’image de vos personnages, avec ces surnoms cousus dessus – des insultes, vous les appelez – comme un costume. Une langue à apprendre, car votre sicilien est bien plus qu’un simple dialecte. Vous faites appel à nos consciences endormies pour que nous puissions réécrire ensemble la fin. Et pour certains lecteurs – mais vous le savez certainement – ​​être appelé à un si grand engagement est flatteur. Et c’est réconfortant de ne pas toujours l’être

traité par des idiots superficiels.

Ici et là, j’ai pensé au Brasseur de Preston de Camilleri, et pas tant pour le langage que pour l’urgence éthique ; au rythme martelant des marionnettes et des « cunti » de Mimmo Cuticchio ; et à la voix de Carmelo Bene qui saute d’octave en octave lorsqu’il lit “et la proue descend”, pour nous faire monter et sombrer parmi les vagues avec l’Ulysse de Dante.

Un lieu doit être petit pour être universel. Il faut inventer un bout de territoire et l’appeler Macondo pour que chacun puisse y trouver un logement. Il faut monter sur scène avec des têtes de pierre pour se rendre compte qu’on est plus maladroits et plus inanimés qu’eux.

Je n’aurais jamais quitté Santafarra.

Chère Véronique, que de splendides folies tu as concoctées.

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