Dans un rêve j’ai vu le monde

La critique du livre de Doris Kareva publiée chez Bompiani, 384 pp., 19 euros

“Nous avons des outils limités, mais des possibilités infinies”. C’est ainsi que Doris Kareva, poète estonienne célèbre dans toute l’Europe, commence sa préface, que Bompiani apporte pour la première fois en Italie avec une anthologie éditée par Daniele Monticelli, qui illustre au début. de volume le critère avec lequel il a été composé.
En effet, Monticelli écrit que, pour exposer au mieux la poétique de Kareva – extrêmement articulée dans un nombre vaste et étendu de recueils au fil du temps – l’anthologie a été rédigée sur la base de critères thématiques et non chronologiques, nous offrant ainsi la possibilité de visiter l’œuvre de l’auteur. poèmes en fonction de leur contenu.

En parcourant les six sections, le lecteur peut ainsi expérimenter la variété et la complexité de thèmes aussi profonds que typiques de la poésie occidentale qui ne manquent pas de s’entremêler, dépassant les rigides frontières anthologiques. Au centre de la poétique de Kareva se trouve en effet une relation – également heureusement illustrée par le titre choisi par Monticelli – multiforme et polarisée entre la dimension onirique et la vie éveillée, la mort et la vie, le concret et l’abstrait, devant laquelle pourtant le sujet poétique se trouve lui-même désorienté et impuissant. Non seulement, en effet, « le sommeil trouble », mais «Vie et rêve – feuilles / d’un seul arbre / […] deux sœurs » dont « la troisième plus jeune est la mort» confondant systématiquement les coordonnées de la réalité.

La pierre angulaire autour de laquelle tourne ce désordre est le sens de la vue, qui est lui aussi ambivalent entre poussées verticales et métaphysiques et autres poussées concrètes et obscènes, mais qui, même au moment de l’illumination, cache l’impuissance déjà évoquée et avec elle la reluquage des objets. le silence: “tout le monde a vu, compris / est resté silencieux». C’est en effet ainsi que le regard du poète prend plus facilement les traits d’un témoin que d’un poète. Et c’est justement lié à cette posture que réside peut-être l’un des aspects les plus intéressants de l’anthologie, contenu dans la première section, à savoir le rapport entre poésie et politique. Les relations difficiles qu’entretenait l’Estonienne Kareva avec l’Union soviétique se traduisent dans ses vers qui dénoncent les politiques de censure et d’oppression : “La roue du pouvoir […] / se déchaîne dans la nuit noire » et encore « Soyez prudent. Sois prudent. / Si tu parles, tu meurs».

L’anthologie de Bompiani parvient ainsi à restituer efficacement les innombrables hétéroclites de la poésie de Kareva, nous orientant dans ce langage bouillonnant, ludique et contradictoire qui donne forme au monde et aux rêves.

Doris Kareva
Dans un rêve j’ai vu le monde
Bompiani, 384 pp., 19 euros

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