La trahison de Sappada. Roche, Visentini et ce Giro d’Italia 1987 qui fait encore débat. Mais était-ce vraiment comme ça ?

La trahison de Sappada. Roche, Visentini et ce Giro d’Italia 1987 qui fait encore débat. Mais était-ce vraiment comme ça ?
La trahison de Sappada. Roche, Visentini et ce Giro d’Italia 1987 qui fait encore débat. Mais était-ce vraiment comme ça ?

Dans l’un de ses neuf titres de presse, Georges Meilleur il a déclaré un jour : “Si je n’avais pas été si beau, tu n’aurais peut-être jamais entendu parler de Pelé”. Certainement une des nombreuses exagérations qui ont toujours caractérisé la vie et la carrière de Georgie, mais dans cette déclaration il est possible de trouver une part de vérité. Autrefois, on croyait que la beauté et la richesse n’allaient pas de pair avec la pratique d’un sport de haut niveau. L’axiome pouvait certes s’appliquer au football mais il était encore plus valable pour des sports « pauvres » comme la boxe ou le cyclisme. Bref, certains athlètes n’étaient pas pardonnés d’être beaux ou riches et donc de pratiquer un sport d’effort, de sueur, de sacrifice comme pouvait l’être faire du vélo.

Roberto Visentini il a dû composer avec ce fait tout au long de sa carrière. Il talento spropositato in bici veniva filtrato dall’invidia di appassionati e addetti ai lavori per il fatto di essere bello e, soprattutto, di “buona famiglia” e dunque di non aver bisogno di faticare per le strade del mondo e portare la benedetta pagnotta a Maison. Visentini est issu du canon du coureur qui vient d’en bas et considère le cyclisme comme un moyen de s’élever et d’améliorer sa condition. Pour le coureur de Gardone Riviera, une ville de la région de D’Annunzio où l’esthétique et le goût mais aussi l’extravagance ont leur juste citoyenneté, le cyclisme était une passion. Pourtant, l’envie de gagner et les moyens étaient là. Coureur complet, fort dans les montées et dans les contre-la-montre, Visentini a frôlé le succès lors du Giro d’Italia 1983, deuxième derrière Beppe Saronni mais victorieux s’il n’y avait pas eu un spécieux système de primes qui pour beaucoup favorisait le champion de Goodwood, et a remporté le succès dans la Corsa Rosa en 1986. Mais à peine un an plus tard, son amour pour le cyclisme prendrait fin et s’évaporerait en un jour qui restera dans l’histoire comme “La trahison de Sappada”. Il s’agit d’un coureur irlandais, d’un ailier belge, d’une équipe divisée et du désir de gagner qui réside toujours dans le cœur de chaque athlète. L’arrivée d’aujourd’hui à Sappada nous ramène à ce Giro de 1987 qui ne cesse de susciter des discussions.

VISENTINI ET ROCHE, DEUX PLANÈTES DISTANTES

“Il y aura beaucoup de monde qui rentrera chez soi ce soir”. Quelques mots murmurés dans le micro de l’intervieweur, c’est la première réaction d’un Visentini furieux après avoir franchi la ligne d’arrivée avec beaucoup de retard. Et le 6 juin 1987 et le Giro d’Italia s’y déroule 15ème étape du Lido di Jesolo à Sappada. Il y a trois grands prix de montagne avant l’arrivée. Là Carrera Jeans-Vagabond domine la course. Deux jours plus tôt, lors du contre-la-montre de Saint-Marin, Visentini avait enlevé le maillot rose des épaules de son coéquipier, l’Irlandais. Stéphane Roche, qui l’a porté pendant dix jours avant de le remettre au capitaine désigné de l’équipe. Pourtant, dans la Carrera, depuis le début du Giro, les hiérarchies n’ont jamais été claires. Bien sûr, Visentini est le vainqueur de l’année précédente et l’équipe devrait être entièrement pour lui, mais Roche n’a pas l’intention d’abandonner. Davide Boifava, directeur sportif historique, l’a engagé pour gagner et il veut le faire sans attendre le Tour de France dont il sera certainement l’unique capitaine. Le Giro est tentant et puis il y a cette déclaration de Visentini qui n’a pas vraiment été digérée. “Si Roche vous aide à remporter le Giro, alors l’aiderez-vous dans le Tour ?” avait demandé un intervieweur au natif de Brescia quelques jours plus tôt. “Je ne pense pas, après le Giro j’irai au bord de la mer” Visentini a répondu. Roche collectionne en silence mais entre-temps il commence à comploter et il lance lui aussi une pique au Brescien qui, selon lui, “quand il voit le panneau Chiasso, il se perd” soulignant sa petite envie de courir à l’étranger.

Deux personnalités distinctes, deux mondes distincts comme Felona et Sorona sans l’amour irréconciliable que les deux planètes éprouvaient l’une pour l’autre. Visentini est hâtif dans ses rapports et ses déclarations. Un jour, après un Grand Prix des Nations qui ne s’est pas déroulé comme il l’espérait, il a scié le vélo en mille morceaux et l’a remis à Boifava dans un sac de courses. “À l’année prochaine” Dit-elle. C’était fin septembre. Avec les compétences en contre-la-montre qu’il possède, le natif de Brescia serait très adapté pour le Tour mais il préfère l’Italie. Courir sur les routes du Giro l’enivre même s’il doit parfois se heurter au cyclisme en liberté des années 80, essayant de s’insérer dans l’âpre rivalité entre Moser et Saronni et leurs fans prêts à se battre ou à cracher s’il le faut. Visentini traverse les montées avec ses cheveux flottants, beaux et impossibles, et quand il descend de vélo, il monte sur l’une des deux motos qu’il possède et part en vacances. C’est précisément à cause de sa réticence à courir à l’étranger que Roche a été embauché. L’Irlandais est plus international, aspire aux grandes étapes et peut être le bon capitaine de la Carrera sur le Tour. Equipe ambitieuse, coureur ambitieux. Mais deux coqs, c’est trop, même pour un poulailler étincelant et vaste comme celui de la Carrera, si l’un des deux a l’intention de picorer dans l’espace de l’autre. Ainsi, tandis que Visentini court le Giro avec la certitude qu’il prendra au moment opportun le maillot rose et sera protégé par l’équipe jusqu’à la conclusion à Saint-Vincent, Roche exploite sa capacité à tisser des relations internationales pour créer un “équipe fantôme” prêt à courir pour lui le moment venu. La trahison qui aura lieu à Sappada commence en réalité bien plus au sud.

TRACER DANS L’OMBRE

“Bonne chance, Jean-Claude” Il dit Eddy SchepersBelge de Carrera, après avoir laissé la victoire au sommet de Terminillo à Jean-Claude Bagot, français par Fagor. C’est la sixième étape. Roche porte le maillot rose depuis trois jours et Carrera contrôle la course. Boifava place le coureur de fond Schepers dans une échappée à deux avec Bagot. Toute la journée avant de s’enivrer de l’effort et des kilomètres vers le sommet des Apennins pour le plus grand plaisir des sponsors qui voient leur marque bien en évidence à la télévision en direct. Entre les deux, Schepers est celui qui tire le plus mais près de la ligne d’arrivée le Belge laisse la victoire à Bagot. Un cadeau qui s’inscrit dans la perspective d’un Grand Tour. En fait, Carrera cherche des alliés. La course est longue, les adversaires sont féroces et malgré les nombreux contre-la-montre qui favorisent les caractéristiques de Roche et de Visentini, il vaut mieux se faire des amis en groupe. La décision de Schepers semble donc presque évidente. On pense que le Belge travaille pour l’équipe. Schepers travaille en fait pour quelqu’un, et ce quelqu’un est Stephen Roche. L’Irlandais a compris que presque tout Carrera, au moment décisif, sera avec Visentini même s’il porte le maillot rose avec solidité et classe. Deux personnes de l’équipe sont cependant prêtes à participer au complot: Gregrily Schepers et le mécanicien de confiance, Patrick Wolke. Il faut cependant d’autres conspirateurs et Roche les recherche et les trouve parmi les autres équipes. “Manque de courtoisie envers Visentini ? Pourquoi pas, il a déjà l’argent et il nous est plutôt utile” auraient pu penser plusieurs d’entre eux.

Nous arrivons ensuite au célèbre Lido di Jesolo-Sappada. Le plan final de Roche se déroule exactement dans la descente du Forcella del Monte Repos. Ennio Salvador, le pilote GIS qui a été le premier à s’élancer dans la descente, ne sait pas qu’il est le déclencheur de l’action. Bagot, en revanche, le fait, et c’est en fait lui qui rend la pareille et attaque le premier dans la montée. Le groupe s’agrandit. Roche, sous prétexte de clôture, revient vers les leaders et redonne vie à l’action en prenant l’avantage. Derrière la Carrera, c’est désorienté. Visentini est un volcan. Il crie et insulte le vaisseau amiral. “Fais quelque chose, bon sang !”. Boifava envoie le mécanicien Wolke à l’ambassade pour convaincre Roche de renoncer mais, une fois atteint, au lieu de le ramener à la raison, il le met au courant du chaos derrière lui et l’invite à continuer. La situation est surréaliste. Roche est devant tandis que son équipe au maillot rose tente de conclure avec tout le monde qui tire sauf un, Schepers évidemment. La faille est là, aux yeux de tous. Puis Boifava arrive. “Stephen arrête, c’est un gros bordel derrière” mais il répond “Je veux gagner. J’arrêterai si Visentini s’arrête aussi”. Après la course-poursuite, l’action est annulée mais d’autres coureurs se lancent immédiatement et tentent d’exploiter la situation. La course explose d’abord à Arta Terme, avec à nouveau Roche au milieu, puis dans la montée de Sella Valcada. La Carrera n’arrive plus à garder le contrôle de l’étape et Visentini, montant vers Cima Sappada, entre en crise de faim. Dans le feu de la course, écumant de rage, il avait oublié de se nourrir. Sur la ligne d’arrivée, là où le Néerlandais gagne Johan Van der Velde, arrive avec plus de 6 minutes de retard. Le maillot rose revient sur les épaules de Stephen Roche et à Sappada, alors qu’on parlait déjà de trahison, de grands mots volent.

AUCUN SIGNE DE PAIX, MAIS ÉTAIT-CE VRAIMENT UNE TRAHISON ?

Le soir, à l’hôtel, Visentini veut la tête de Roche. Le natif de Brescia espère que le maillot rose rentrera chez lui avec ses fidèles. Cependant, les frères Tacchella, propriétaires de la Carrera, arrivent et établissent : “Personne ne rentre à la maison, nous avons le maillot rose et ça, divisions ou pas, il faut aller jusqu’au bout. On en reparlera à la fin du Giro”. A partir de ce moment, Visentini tente à son tour d’attaquer Roche qui, entre-temps, a perdu le soutien de toute l’équipe (sauf Schepers et Wolke). Le maillot rose trouve cependant des appuis dans la course de Panasonic de l’ami Robert Millar. Ainsi, si Visentini attaque, les autres équipes fidèles à Roche fermeront. Puis dans l’étape de Pila, le coureur de Brescia chute et abandonne. Roche remporte le Giro d’Italia avec 3’40” d’avance sur Millar lui-même et 4’17” sur le Néerlandais Erik Breukink. Quelques mois plus tard, il remportera également le Tour de France et le Championnat du Monde, réalisant un exploit réalisé dans l’histoire uniquement par Eddy Merckx.

Depuis ce jour de 1987, la carrière et peut-être la vie de Roche et Visentini n’ont plus jamais été les mêmes. Le Brescien n’a plus jamais parlé à l’Irlandais, malgré les tentatives de réconciliation de ce dernier. Si la carrière de Roche atteint son apogée cette année-là, celle de Visentini prend fin brutalement. C’est l’amour que le natif de Brescia a toujours eu pour le cyclisme qui disparaît. Déçu par tout et par tout le monde, Visentini courra encore trois ans avant d’en dire assez, dégoûté par l’environnement des courses, et de rejoindre l’entreprise funéraire familiale. “La chatte et Visentini gâtés lave et prépare maintenant les morts” » a-t-il déclaré dans l’une des rares interviews accordées après Sappada. Mais ce jour-là était-il vraiment une trahison ? En ce qui concerne le déroulement de l’action, oui, mais en écoutant les raisons de Roche, il faut aussi donner du crédit à l’Irlandais. Il se sentait fort et en effet, il a obtenu les résultats qu’il a réussi à ramener au cours de cette année 1987 magique. Pour lui, ambitieux, il était normal d’essayer de gagner et encore plus de réussir. C’était aussi une question d’opportunisme, de nécessité, de saisir un moment qui serait unique. Au sommet de l’équipe, tout bien considéré, tout allait bien : Carrera, en revanche, avait gagné. Peut-être qu’un peu plus de dialogue entre les deux capitaines et quelques piques en moins auraient suffi à régler le problème à l’amiable. Mais les caractères des gens ne changent pas. Au contraire, nous devons essayer de les faire coexister. Mais à Sappada, ce jour-là de juin 1987, dans la petite ville qui se trouvait alors encore en Vénétie et qui se trouve aujourd’hui après un référendum dans le Frioul-Vénétie Julienne, il n’y avait pas de place pour les deux. L’un était au soleil, l’autre à l’ombre. Comme Felona et Sorona, destinés à ne jamais se rencontrer.

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