Une rencontre au nom de la fragilité

Ce sont des couples qui se retrouvent, des amours qui luttent pour s’épanouir, des passions qui surprennent ceux qui en sont les protagonistes, des enfants qui accompagnent leur père jusqu’au dernier moment et des pères qui surprennent leurs enfants par leur vitalité. Et encore une fois, des hommes qui découvrent en eux des compétences parentales qu’ils ignoraient posséder et des femmes qui tentent de retrouver la relation avec les enfants qu’elles n’ont pas élevés après des décennies. Des dizaines de personnages, jeunes et vieux, hommes et femmes, parfois à peine plus que des adolescents, autant dire un petit monde qui ne cesse de s’interroger, bien souvent de s’émerveiller, sur ce qu’il ressent pour son entourage, ou aimerait côtoyer. il.

Encore une fois, dans les vingt nouvelles qui composent le recueil intitulé Cravates (traduction de Raffaella Scardi, pp. 318, 19 euros), qui inaugure dans notre pays le catalogue de la nouvelle marque éditoriale Gramma/Feltrinelli, Eshkol Nevo démontre sa capacité à enquêter non seulement sur les sentiments et l’âme humaine, le désir comme le sens de perte, mais aussi la manière dont ce que nous ressentons les uns pour les autres est capable de nous interroger et de nous interroger à chaque instant.

Des histoires écrites avant la terrible attaque du Hamas du 7 octobre et la tragique réponse israélienne à Gaza qui a suivi, dans lesquelles cependant surgissent tout le drame et les problèmes non résolus de la situation au Moyen-Orient. Parmi les invités de la Foire du livre de Turin – où il sera présent le samedi 11 mai pour deux événements, à 14h30 dans la Sala Azzurra et à 17h30 dans le Bosco degli Scrittori – l’écrivain israélien présentera Cravates Lundi 6 mai à la Fondation Feltrinelli de Milan en dialogue avec Valeria Parrella (18h30, viale Pasubio 5).

Commençons par le titre : qu’est-ce qui unit réellement les histoires de ce recueil, alors que les liens qu’elles étudient se présentent sous toutes les formes, pourrait-on dire de l’amour à son contraire ?
Je peux répondre de deux manières. Le plus simple est de dire que le livre raconte les multiples façons dont nous sommes liés aux autres : parents, enfants, partenaires ou amis. Si au contraire nous voulons creuser un peu plus, je pense que nous pouvons dire que ce qui unit les histoires, c’est l’élément temps : c’est-à-dire la manière dont le passage du temps, le passage des années influencent aussi ce que nous ressentons, sur la façon dont nous regardons les autres, sur les questions que nous nous posons et auxquelles nous répondons différemment à vingt, quarante ou soixante ans. Ce n’est pas un hasard si le livre aurait pu aussi s’intituler « Une question de temps », comme l’une des histoires qu’il contient.

Bien que les histoires qu’il raconte soient très différentes les unes des autres, on a le sentiment qu’un sentiment de résilience se dégage de chacune d’elles qui amène les protagonistes à imaginer une possibilité d’avenir même dans les pires conditions. Une attitude qui semble également caractériser les personnages de ses œuvres précédentes…
Si vous y réfléchissez, c’est probablement le cas. Même si ce n’est pas quelque chose que j’ai fait délibérément, mais plutôt le résultat de ma façon de voir la vie. Mes parents sont tous deux psychologues, mais aussi des personnes qui ont toujours travaillé dur et qui ont toujours essayé de m’encourager à faire quelque chose pour changer la situation dans laquelle je pourrais me trouver. Disons que chez moi, il était difficile de pouvoir dire qu’on était paresseux ou désespéré au point de perdre tout espoir et de se résigner à ne rien faire. Et je pense que j’ai d’une manière ou d’une autre mis cela dans tous mes personnages qui ne font peut-être pas les bons choix, ou font décidément de mauvais choix : le fait est que même une erreur peut être à l’origine d’une histoire qui mérite d’être racontée.

L’écrivain Eschol Nevo

Dans un récit, Yonathan explique à Dave que l’hôpital psychiatrique où il est hospitalisé est situé sur ce qui reste du village de Deir Yassin, où en 1948 plus d’une centaine de Palestiniens, femmes, vieillards et enfants furent massacrés. Et comment ces fantômes continuent de frapper aux portes de ceux qui y vivent. L’histoire s’intitule “Tout est fragile” et semble nous dire que les liens dont elle parle concernent, surtout de manière douloureuse, la relation entre les deux peuples de cette terre…
La réflexion autour de la fragilité peut avoir deux sens. Sur le plan psychologique : à partir du moment où vous comprenez que la personne en face de vous est vulnérable et fragile, alors, peut-être, vous pourrez aussi l’accepter et lui pardonner. Ainsi, Shikma, la sœur de Yonathan, dit à Dave : « Pour être ami avec mon frère, il faut accepter le fait qu’il est fragile et qu’il ne pourra pas toujours être là pour toi. Parfois, cela disparaîtra. » Et je pense que le psychisme d’Israël a quelque chose de tragique : nous sommes entraînés à cette fragilité de l’existence. Tu sors le matin et tu ne sais pas si tu reviendras le soir, tu as une fille qui est militaire, comme c’est mon cas maintenant, ce qui veut dire qu’il faut tenir compte du fait qu’elle gagnera peut-être. Je ne reviens plus à la maison. Les Israéliens savent très bien improviser parce que la vie en Israël est une improvisation constante, parce que la réalité peut vous frapper à tout moment. Le revers de la médaille est que, tout comme ce qui arrive à Jonathan, tout le monde n’est pas capable de gérer tous ces démons qui les entourent constamment, ils ne peuvent pas accepter de devoir constamment faire face à cette histoire sanglante et à la possibilité que quelque chose de terrible se produise. C’est pourquoi dans le recueil je parle aussi à plusieurs reprises des Israéliens qui ont choisi de ne plus vivre en Israël.

Après le 7 octobre, vous avez rencontré certains des survivants de l’attaque du Hamas et des proches des otages. Un de ses interlocuteurs lui a demandé : « Aidez-nous à trouver une nouvelle histoire. Ce que nous nous disions sur notre vie en sécurité a été brisé.” Pouvez-vous imaginer à quoi pourrait ressembler cette « nouvelle histoire » et quelle sera votre contribution en tant qu’écrivain ?
Je lui réponds de la même manière que ce jour-là : je ne sais pas ce que pourrait être cette nouvelle histoire, mais il est important d’y réfléchir. Personnellement, après le 7 octobre, je pense m’être engagé à devenir une sorte d’écrivain-thérapeute, non pas quelqu’un qui vient faire un joli discours, ou écrit un article impressionnant, mais plutôt à être le plus proche possible de ces gens qui sont blessé physiquement ou émotionnellement. Surtout, au cours des six derniers mois, j’ai essayé de parler aux gens, d’écrire pour raconter leurs histoires. Ma contribution en tant qu’écrivain était la suivante : leur permettre de raconter leurs histoires et d’apprendre celles d’autres personnes qu’ils n’avaient jamais rencontrées avant le 7 octobre. Établir du lien, traverser cette douleur ensemble, tenter de revenir, malgré tout, regarder l’avenir avec espoir.

Dans quelle mesure Israël a-t-il changé après le 7 octobre ?
Je crois qu’il y a deux aspects décisifs. La première concerne le fait que ce jour-là, le sentiment de sécurité dans lequel beaucoup d’entre nous sentaient vivre a été brisé. Désormais, les gens ne se sentent plus en sécurité, même chez eux, et c’est un sentiment que nous devons retrouver. Et puis il y a une autre histoire que beaucoup se sont racontée et qui a été brisée : c’est-à-dire que le conflit avec les Palestiniens ne peut pas être abordé directement, en fin de compte on peut laisser les choses telles qu’elles sont et c’est tout. Ici, la prise de conscience de tout cela implique une sorte de réveil forcé : ce conflit ne doit pas seulement être « géré », il doit être résolu.

Au lendemain du 7 octobre, vous avez admis avec douleur que vous avez du mal à ressentir de l’empathie pour la population de Gaza, que vous êtes incapable de séparer ces civils des terroristes du Hamas. Maintenant que votre regard a changé, comment évaluez-vous ce qui se passe dans la bande de Gaza et la possibilité qu’un chemin soit rouvert pour la coexistence ou pour l’hypothèse de deux États ?
Je crois que nous pouvons désormais faire quelque chose qui me paraissait, comme beaucoup d’autres, impossible dans les jours qui ont suivi le 7 octobre. Faire une distinction claire entre, d’une part, les citoyens de Gaza, leurs familles, les femmes, les enfants et, d’autre part, le Hamas qui est une organisation terroriste, est essentiel pour que l’empathie prévale. En effet, je dirais que plus encore que l’empathie, je ressens aujourd’hui, également dans ce cas comme beaucoup d’autres en Israël, toute la gravité de la tragédie à laquelle les habitants de Gaza sont exposés en ce moment. L’affirmer, c’est aussi réaffirmer que nous ne voulons en aucun cas ressembler au Hamas qui n’a jamais fait cette distinction. Quant aux possibilités d’avenir, l’empathie est le premier pas, sinon vers la coexistence, du moins vers la paix entre les deux peuples : car il faut toujours rappeler que « Israéliens » et « Palestiniens » ne signifient pas un acronyme ou une organisation ou un gouvernement spécifique, mais deux populations composées de personnes, d’êtres humains qui doivent avant tout apprendre à se rencontrer. Ou recommencer.

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