Entre vie et mort, entrelacement temporel et force érotique

La mémoire interrompue (Manni, pp. 112, euro 16) du psychanalyste jungien Augusto Romano se situe dans les modules plus que consolidés de la tradition lyrique, pas seulement italienne, qui prévoient le protagoniste absolu du moi amoureux, plutôt que l’amour, pour lequel la femme est la figure de la réaction, écran projectif du moi masculin, tandis que la poésie est le « son », pour citer Pétrarque, de ces alternances de joies et de souffrances, elle en est la réparation et le fruit sublimé. En fait, la section centrale du recueil s’appelle Madrigali, marquant le cérémonial amoureux des courtes compositions en vers libres.

Dans notre cas, ce qui épaissit le tableau, c’est l’accentuation du fait que la mémorisation du moi se fait en sentant que « la mort nous attend / derrière l’écran ».

Une accentuation de l’approche de la mort due également au fait que la méditation de la récolte a lieu après la mort de l’aimé : « écoulement de la terre et de l’eau ».

GUERRE TRADITIONNELLE Cependant, l’intérieur des sentiments opposés présente dans la poésie de Romano une cambrure et un timbre particuliers qui doivent, dans certains de leurs aspects, à la culture professionnelle de l’auteur. En fait, même si la perception de la mort de l’être aimé devient prédominante vers la fin de la première et la plus importante section, les deux plans temporels, de la mort survenue et de la vie dans le temps remémoré, restent constamment coplanaires. Les fragments d’expérience font irruption dans le présent du récit avec une force érotique que l’interruption de la mort n’a pas éteinte, se mêlant, comme cela arrive dans certaines hallucinations, au même effet de réalité.

DE LA MÊME FAÇON, le transport amoureux a constamment des connotations physiques et érotiques franches avec un recours fréquent à la dénomination des organes sexuels. Le même contraste douloureux d’acceptation/rejet de la bien-aimée, également dû à sa mort, se transforme tantôt en agressivité de la femme « Les labyrinthes épineux / cachés entre tes jambes / cyprès et retables cachés », tantôt en passivité : « oh ton hiver yeux / courtisane regrettable / gris suppliant et coriace d’une colombe perdue».

LA STRUCTURE la rythmique-métrique ne diffère pas d’une médiocrité grammaticalisée : recours au vers libre de mesures courtes, rares rimes occasionnelles avec une certaine préférence pour la place à la fin, suppression de la ponctuation sauf le point final. Conditions pour lesquelles cet apparent épaississement sémantique se produit en raison de l’absence de limites syntaxiques dans le corps de la séquence et du vers.
Mais l’énergie du conflit est innervée à d’autres niveaux. Le contraste linguistique entre les sons, les images, les topoï, les mythes d’ascendance littéraire et les fragments familiers et techniques est sensible, avec des effets atténuants parfois joués sur les voiles de la comédie gozzanienne. Un exemple nous est offert justement par le contraste entre le drame dur des “labyrinthes épineux” rapporté plus haut avec la fermeture soudaine : “Il faisait froid et j’attendais / en claquant des dents / que tu enlèves tes sous-vêtements”.
Dans d’autres cas, le fardeau d’angoisse généré par le souvenir se trouve au contraire confronté à un véritable gel, poussé jusqu’au sadisme. Plus rarement, la douleur du vide, la pression de la nostalgie trouvent des chemins presque assurés, peut-être à travers des mouvements d’échos littéraires : « comment les jours s’enchaînent / comment, avec la salive huileuse le mucus / le regard embrumé de la nuit naissante / comment, avec tes jambes fines, ton pubis”, dans l’interrogation anxieuse de laquelle on semble sentir la basse de l’anaphore insistante de la ballade poignante et inoubliable de François Villon, “mais où sont les neiges d’antan ?”.

L’EXASPÉRATION du conflit, qui prend la forme à la fois d’un brassage linguistique grossier et d’un déplacement provoqué par la fusion des plans temporels, se répercute également dans l’usage rhétorique de l’analogie parfois porté à la verticalité de figurations d’un symbolisme ardu, non étranger à la dérivation psychanalytique : « ils sonnaient à la porte / des éclairs et des bruits dans les placards / des excréments mûrs”.

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