L’or vaut plus que jamais et les Tessinois vident leurs tiroirs

L’or vaut plus que jamais et les Tessinois vident leurs tiroirs
L’or vaut plus que jamais et les Tessinois vident leurs tiroirs

Pour admirer le trésor conservé sous Balerna, comme dans les contes de fées, il faut surmonter une série d’obstacles. Des détecteurs de métaux, des fouilles et une porte métallique d’un demi-mètre d’épaisseur. La sécurité suit les rares visiteurs jusqu’au sous-sol, équipée d’un badge personnel qui enregistre leurs déplacements.

C’est une prudence compréhensible. Prendre l’équivalent d’une barre de chocolat à la raffinerie de Valcambi – la plus grande de Suisse – serait aussi rentable qu’un braquage de banque. Les rares personnes qui ont essayé dans le passé – des employés qui ont ensuite été licenciés sur-le-champ – ont été facilement “épinglés” par le système de sécurité et dénoncés.

«Le truc pour travailler ici, c’est de ne pas penser à la valeur qui vous entoure», explique l’employé de l’entrepôt en déplaçant les colis du “chariot élévateur” à la table d’expédition. Dans son espace de travail – une soixantaine de mètres carrés – se trouvent environ des centaines de millions de francs d’or pur, mais il ne les compte pas. “Si j’y pensais – confie-t-il – j’aurais fini.”

Aussi parce que la valeur de l’or évolue continuellement et n’a fait qu’augmenter au cours des trois derniers mois, atteignant un record historique fin mai (71’000 francs le kg, contre 57’000 en février). Ceci, en plus d’augmenter la valeur du « trésor » de Balerna de 20 pour cent – 1 400 tonnes d’or brut transitent par les gisements de Valcambi, dont nous n’avons vu qu’un exemple, transite chaque année par les gisements de Valcambi – a également un impact significatif sur les “trésors” conservés dans les maisons de nombreux Tessinois. Où les mesures de sécurité sont cependant bien moins efficaces.

Les “annonces” sur Internet et dans les journaux montrent que le secteur est en pleine tourmente. Aux opérateurs stables, enregistrés auprès de l’Office central de contrôle des métaux précieux, s’ajoutent des “acheteurs d’or” itinérants qui organisent des événements dans des hôtels, des restaurants ou des entrepôts. L’obligation d’autorisation, introduite le 1er janvier 2023, ne s’applique qu’au-delà d’un certain seuil de chiffre d’affaires (50 000 francs par an) et les contrôles ne sont pas faciles. «Nous faisons de bonnes affaires, le moment est favorable et les gens en profitent», explique Lorenzo (nom inconnu) qui a loué une chambre dans un hôtel à Gordola la première semaine de juin. Il achète de l’or “jusqu’à 75 francs le gramme”, affirme-t-il.

Les prix trop brillants ne doivent cependant pas induire en erreur. Lors de négociations (strictement sans barème), ils peuvent descendre jusqu’à un tiers, tandis que pour dérouter les vendeurs – souvent des personnes âgées – les « sournois » prétendent surévaluer les vieilles fourrures ou les bibelots de peu de valeur. «C’est un vieux truc qui rapporte toujours bien, surtout dans les moments de plus grande demande», explique Fabio Luraschi, directeur du magasin de numismatique Erwin Dietrich à Zurich. “Cela devrait être un signal d’alarme.”

La multiplication des faux-fuyants est un signe de la fermentation : heureusement pas le seul. Les acheteurs de « matériaux de fusion » autorisés par les douanes signalent également une augmentation de la demande. En un an et demi, 45 Tessinois se sont inscrits au registre public spécifique (308 au niveau suisse), concentrés surtout dans la région de Lugano et dans la région du Mendrisiotto.

«Je fais ce métier depuis vingt ans et je n’ai jamais rien vu de pareil» confie Chiara, qui tient une brocante à Muzzano : il figure sur la liste, mais est spécialisé dans les meubles et les vêtements. «Les métaux précieux ne sont pas notre activité habituelle – admet-il – mais dans les moments de forte hausse, nous procédons rapidement à des retraits. Le mois dernier, plusieurs personnes sont venues proposer leurs médailles d’or.”

Le Tessin est après tout un canton en or. Les trois quarts des lingots produits en Suisse sont fondus ici : mais les raffineries industrielles du Mendrisiotto, qui jusque dans les années 1960 avaient des débouchés ouverts à la population, ne fonctionnent aujourd’hui qu’avec de grandes quantités venant de l’étranger. Les petits épargnants doivent se tourner vers de petits intermédiaires.

«Au Tessin, il est difficile de vivre uniquement du commerce de l’or», admet Danilo Pedrazzetti de Nova Marketing Numismatics à Chiasso. “C’est avant tout un moyen de joindre les deux bouts.” Stations-service, bureaux de change, beaucoup s’adressent à une clientèle italienne qui, pourtant, “aujourd’hui n’est pas particulièrement nombreuse”, explique Petrazzetti. “L’impression est que, de l’autre côté de la frontière, ceux qui devaient vendre ont déjà tout vendu dans le passé.”

La ruée vers l’or est d’ailleurs une constante dans les moments historiques difficiles. La crise financière de 2008, les moments les plus sombres de la pandémie (2020 et 2021) sont les précédents qui viennent à l’esprit des professionnels face à la « fièvre » d’aujourd’hui. «Notre secteur est constitué de nombreux opérateurs dormants, qui n’ont peut-être qu’une seule enseigne et restent inactifs pendant des années jusqu’à ce que le bon moment arrive», explique Fabio Luraschi, originaire du Tessin qui a vécu toute sa vie sur la Limmat. «Vu de loin, on a l’impression que le Tessin est constitué principalement de sujets de ce type. Il est normal que, face aux augmentations sans précédent, ils se réveillent. »

Pendant ce temps, dans le bunker de Balerna, les lingots attendent tranquillement d’être chargés sur le chariot élévateur et expédiés. «Ce n’est qu’une étape du voyage», explique le magasinier. Les destinations, tout comme les causes des prix records, se trouvent dans des pays éloignés du Tessin et peut-être, comme le magasinier, vaut-il mieux ne pas y penser.

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