D’étranges arbres tordus, dans une photo historique et dans le paysage d’aujourd’hui : un fil rouge entre passé et futur

Ces derniers jours, j’étais à Trente. En visitant une belle exposition d’images historiques du photographe Franz Dantone dit « Pascalin », organisée dans le cadre du Festival du Film de Trente, j’ai remarqué un petit détail, qui devait occuper environ un vingtième (ou peut-être moins !) de l’espace de un photographe. Une belle image en noir et blanc, qui immortalise un lac alpin bien connu, celui d’Alleghe, et le paysage tout autour.

Au milieu de champs bien entretenus, en aval d’une petite ville, mon “œil technique” m’a amené à me concentrer sur des arbres étranges: court, trapu, aux formes torsadées, sans feuillage mais seulement avec de nombreux rameaux petits et fins au-dessus du tronc.

“Combien de visiteurs de l’exposition auront remarqué ces formes très inhabituelles ?”, me suis-je demandé en m’approchant curieusement de l’estampe.

Il s’agissait très probablement de arbres gérés avec la technique dite du « étêtage », en italien « taillis capitozza » ou « taille des têtes de saule ». Ceux de la photo, près du lac, étaient probablement des saules, qui étaient taillés chaque année ou tous les deux ou trois ans pour obtenir de fines assortiments de bois adaptés à divers procédés typiques de l’artisanat paysan. Ils servaient par exemple à fabriquer des paniersmais aussi (dans d’autres domaines) pour attacher les sarments de vigne et ensuite pour bien d’autres petits usages.

Ces éléments arboricoles singuliers ils étaient autrefois très répandus dans le paysage rural italienmême en milieu alpin comme le démontre la photographie de Dantone. Aujourd’hui, dans de nombreuses régions, ils ont presque totalement disparu. Ils ont disparu simplement parce que nous n’avons plus besoin de cette matière première particulière, ou, parfois, parce que s’est perdue la « transmission » d’une pratique transmise de génération en génération, qui, même sans valeur économique, gardait une signification traditionnelle et sentimentale. .

Dans mon pays, en particulier sur les premières collines des Apennins de Plaisance, on trouve encore parfois de rares saules ainsi gérés, tout comme ceux de la photographie. Ironiquement, j’en avais photographié certains la veille de mon départ à Trente. Et cette « rencontre » avait généré en moi une petite réflexion.

“Un touriste de passage par ici”, avais-je pensé, “très probablement pouvait percevoir dans ces arbres tordus un traitement cruel et nocif pour leur santé, confondant l’ancienne technique de la tête de saule avec l’étêtage de la verdure urbaineune pratique réellement néfaste qui persiste malheureusement encore dans de trop nombreuses municipalités italiennes.

Ces arbres, en apparence si laids et monstrueux à nos « yeux modernes », peu habitués aux pratiques paysannes, sont en réalité un témoignage très précieux d’un paysage agroforestier historique que nous perdons. Ce que j’avais photographié sur les collines de Plaisance est en réalité un petit ou un grand “musée à ciel ouvert”, entretenu par des “conservateurs” probablement pas tout à fait conscients de sa valeur, qui, à y regarder de plus près, peut être considérée comme égale à celle du photos historiques de Franz Dantone dit « Pascalin ».

Mais le paysage n’est pas un tableau : il évolue rapidement en fonction des évolutions socio-économiques de notre société.. Se fossiliser sur la « muséalisation » de quelque chose de dynamique et étroitement lié au contexte socio-économique n’est certainement pas correct ni possible partout. Mais conserver au moins une partie de ces éléments et redécouvrir leur usage artisanal, peut-être pour remplacer du plastique, pourrait être une opération très intéressante et utile, d’un point de vue culturel mais aussi, pourquoi pas, productif..

En France, par exemple, une association créée pour promouvoir l’agroforesterie (ensemble des systèmes agricoles qui voient la culture d’espèces d’arbres et/ou d’arbustes pérennes associées à des terres arables et/ou des pâturages dans une même unité de surface), écrit à propos de la taillis têtard : « Réservoir de biodiversité, indicateur paysager, patrimoine culturel… un têtard bien géré n’est pas un arbre mutilé, bien au contraire ! C’est une usine de biomasse et de biodiversité ».

Sur le chemin du retour, je pensais que entre la photo noir et blanc de Dantone, prise avec un lourd banc d’optique, et mes photos couleur, prises à la volée depuis la vitre de la voiture avec un simple smartphone, il y a un fil rouge qui unit passé et futur. Un lien qui risque de se briser non seulement avec l’avancée des nouvelles techniques et des nouveaux besoins, mais aussi pour l’incapacité de plus en plus répandue à savoir « lire » le paysageses changements, les valeurs qu’il montre et cache en fonction des « lunettes culturelles » que nous portons pour l’observer.

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