L’un de ses dessins a été brûlé publiquement lors d’un procès. Ses sujets embarrassaient, ébranlaient les mœurs publiques, mais celui d’Egon Schiele était un art qui exprimait une sensibilité rare et profonde.

L’un de ses dessins a été brûlé publiquement lors d’un procès. Ses sujets embarrassaient, ébranlaient les mœurs publiques, mais celui d’Egon Schiele était un art qui exprimait une sensibilité rare et profonde.
L’un de ses dessins a été brûlé publiquement lors d’un procès. Ses sujets embarrassaient, ébranlaient les mœurs publiques, mais celui d’Egon Schiele était un art qui exprimait une sensibilité rare et profonde.

Nous sommes au milieu du XXe siècle lorsque Rudolph Leopold, ophtalmologiste, commence à acheter méthodiquement les œuvres de tous les artistes de la Sécession : il peut le faire car, à cette époque, éclipsés par ce qui s’était passé en France, ils étaient encore mal considéré. Tout cela au cours de ces dernières années, donc.

Une collection composée de plus de cinq mille œuvresqui sera rachetée par l’État autrichien, pour créer, à partir de 2001, le Musée Léopold, un trésor d’art incontournable pour ceux qui, en visite à Vienne, souhaitent s’immerger totalement dans le climat culturel de l’époque. Klimt, Schiele et Kokoscka sont les favoris. Pensez-y seul Egon Schiele, a réussi à regrouper quarante-quatre tableaux (sur les trois cent quarante environ répertoriés à ce jour) et deux cent quatre-vingts œuvres sur papier (un dixième de celles existantes). Un talent formidable et clairvoyant, capable de mener à bien une entreprise actuellement inaccessible, non seulement en raison de la très haute qualité des œuvres, mais aussi en raison des prix qu’elles ont atteints sur le marché.

Une partie de cette formidable séquence de chefs-d’œuvre a souvent franchi les frontières autrichiennes, afin de “les rapprocher d’un public international”, pour reprendre les mots que Rudolph Leopold lui-même a écrit en 2010, dans le court texte d’ouverture du catalogue Skirà, imprimé pour accompagner une exposition difficile à oublier, “Schiele et son temps”, installé dans les salles d’exposition du Palazzo Reale de Milan. C’est peut-être aussi le dernier adieu « institutionnel » de Léopold, qui décède vingt jours seulement après la clôture de l’exposition.

Parmi la quarantaine d’œuvres exposées à l’époque, trois icônes fondamentales de toute sa peinture : “Les Ermites” de 1912, dans lequel l’artiste, dans une atmosphère crépusculaire effrayante, se représente avec Klimt, de vingt-huit ans son aîné : une référence humaine et artistique, rencontrée lorsque Schiele avait dix-sept ans. Dans la grande toile de 1912, les deux corps, unis dans une jointure qui ne laisse aucune fissure, semblent comme d’habitude rabotés et grattés sur la surface du tableau, de manière à retrouver la matière sous-jacente, c’est-à-dire ce que fait habituellement l’œil. pas vu. Tout semble se confondre, Klimt semble le soutenir. Les visages ont la même couleur que le fond, tandis que les corps sont symboliquement à l’étroit dans leur « errance » sous un seul manteau noir : « Des corps d’hommes écoeurés par la vie, suicidaires, mais des hommes qui ont des sentiments ».

D’une intensité redoutable et non moins expressive aussi «Autoportrait avec alchechengi», nettement plus petit, également de 1912 : cette fois, Schiele est seul dans un tableau à la coupe compositionnelle très calibrée. Il s’est représenté cent fois, s’examinant intérieurement, sans complaisance narcissique. Ici comme dans bien d’autres cas, la perspective inclinée structure l’espace d’une manière jamais vue auparavant. Avec les lignes chères à la Sécession, il parvient à représenter parfaitement son caractère remuant. Il n’y a pas de drame, mais de la mélancolie. Une mélancolie infinie, marquée par une série d’obsessions et de blessures intérieures. Les aubépines en arrière-plan, loin du décorativisme jugendstil, apportent une couleur vive qui attire l’attention de l’observateur, permettant à l’artiste de regarder sans être regardé.

Enfin, “Arbre d’automne déplacé par le vent”, aussi extraordinaire que ses autres sujets similaires : nous sommes encore en 1912, l’année de la prison. Un des sommets de son art. L’arbre, enfoncé dans la surface au point de ressembler à un grain de marbre, conserve encore la vie en lui-même. Le vent a finalement cessé de souffler, non seulement après avoir fait tomber les feuilles, mais après avoir réussi à modifier sa structure, comme le souhaitait le peintre. Ce que nous voyons est un arbre, mais c’est aussi une sorte d’autoportrait. Les propres mots de Schiele entrent presque d’eux-mêmes, entre les lignes : « Tout évoque les mouvements du corps humain, les mouvements analogues de joie et de souffrance des plantes. Peindre seul ne me suffit pas, je sais qu’avec les couleurs il est possible de créer des qualités intrinsèques. On perçoit intimement, au fond de son cœur, un arbre d’automne en plein été, j’aimerais peindre cette mélancolie”.

La même chose se produit à chaque fois avec Schiele. Toujours, lorsqu’on entre en contact avec sa peinture – une peinture capable de nous émouvoir et de nous surprendre, de nous impliquer et de nous enchanter comme très peu d’autres – on a l’impression de franchir les yeux ouverts le seuil qui sépare la raison de l’inconscient avec une lucidité et une synthèse perceptive que l’on ne s’autorise que lorsque l’esprit avance étroitement lié aux cordes du rêve. C’est-à-dire lorsqu’il n’est pas nécessaire de masquer ou d’atténuer la source secrète et directe de chaque impulsion la plus intime.

Schiele a peint ces tableaux au cours d’une brève parabole artistique, interrompue alors que l’artiste n’avait que vingt-huit ans. Il les peint dans la Vienne de Freud, mais aussi de Musil et Schnitzler. Dans la ville où, à la fin du siècle et au début du XXe siècle, avec Otto Wagner et Gustav Klimt, il avait déjà profondément tracé le chemin de la Sécession, avec des contours marqués et noirs pour délimiter les sujets, les formes, les couleurs, presque comme s’il s’agissait de berges pour éviter une inondation imminente et inévitable. Où même le graphisme et l’écriture entrent en contact étroit avec la représentation picturale.

C’est une ligne qui de la démarche douce de Klimt prendra une angulaire différente avec Schiele, impitoyable et essentielle, “expressionniste” sera-t-elle définie. Pas seulement conçu pour délimiter une image, mais une pensée. La littérature, la philosophie et, surtout, la musique se mêlent à l’art avec ses notes plus sobres et solennelles, parlant d’une Vienne en déclin ou les plus alarmées et déchirantes annonçant les gémissements de la Première Guerre mondiale ; ou encore celles, non moins dramatiques, de la terrible fièvre espagnole qui, entre 1918 et 1919, fit des millions de victimes dans toute l’Europe. Cela mettra fin brusquement à la vie de Schiele, sa femme Edith, Otto Wagner, Kolo Moser et bien d’autres. En 1918, de retour d’un voyage en Roumanie, Klimt décède également, mais des suites d’un accident vasculaire cérébral suivi d’une pneumonie, à tel point que Schiele a eu le temps de le représenter sur son lit de mort.

On dit toujours à propos d’Egon Schiele qu’il était obsédé par le sexe et la mort. Une évidence, mais une vérité partielle. Disons qu’il aborde ces sujets pour ce qu’ils sont, ouvertement, sans allusions d’aucune sorte. Ce choix lui coûtera cher. Ses sujets embarrassèrent, ébranlèrent les mœurs publiques, au point de susciter des réactions de censure dans une capitale habsbourgeoise désapprouvant le développement d’un art considéré par la suite comme « dégénéré »..

Entre 1910 et 1911, Egon Schiele séjourne dans la ville de Krumau, dans le sud de la Bohême, la ville natale de sa mère, mais les protestations de la population locale l’obligent à déménager à Neulengbach, un petit village non loin de la capitale. Ici, accusé par un officier de marine à la retraite d’avoir trompé sa fille qui n’avait pas encore quatorze ans, il fut emprisonné pendant vingt et un jours sous la très grave accusation de corruption de mineurs, dont il fut ensuite blanchi. Mais on a quand même trouvé le moyen de lui faire purger trois nuits supplémentaires de détention, pour avoir produit “du matériel pornographique facilement accessible aux yeux des adolescents”. L’un de ses dessins a été brûlé publiquement lors du procès.

La dernière pensée va à la grande écriture qui apparaît en relief au-dessus de l’entrée du Palais de la Sécession, datant de l’année de sa construction, 1897 : “A chaque époque son art, l’art a la liberté”.

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