l’homme malade de l’Europe n’est plus l’Italie

L’incertitude sur l’issue des élections françaises décidées sous un coup de tête par Emmanuel Macron après la défaite électorale aux élections européennes face au Rassemblement National de Marine Le Pen, a réveillé la propagation. Et surtout elle a relancé le débat sur les dettes publiques à la veille de décisions européennes importantes. Depuis plus de quatre ans, la dette est placée sous cloche de verre.

D’abord pour faire face à la crise pandémique. Immédiatement après celle énergétique résultant de l’invasion de l’Ukraine. L’Europe a suspendu les règles du Pacte de stabilité, laissant aux gouvernements la possibilité d’enregistrer des déficits et donc d’augmenter leur dette, pour mettre en œuvre les mesures nécessaires pour faire face aux urgences. Avec la Banque centrale européenne appelée à acheter les titres publics nécessaires au financement des mesures nationales. Malgré cette sorte de « gratuité pour tous », l’Italie a quand même réussi à réduire sa dette du record de 155,6 pour cent en 2020, provoqué par l’effondrement du PIB l’année de la pandémie, à 137,3 pour cent en 2023. Un niveau pas beaucoup plus élevé qu’au début de la crise du Covid. Dans quelques jours, les règles budgétaires européennes, celles prévues par le nouveau Pacte de stabilité, seront réactivées.

LA TERRA INCOGNITA

Nous entrons dans une « terra incognita ». Personne ne sait encore exactement comment fonctionneront les nouvelles contraintes européennes. Vendredi 21 juin prochain, Bruxelles fera un premier pas décisif. Il enverra à tous les gouvernements un courrier électronique indiquant la « trajectoire technique » que devraient suivre leurs dépenses publiques primaires au cours des cinq prochaines années. En d’autres termes, il indiquera dans quelle mesure les dépenses en matière de retraites, de soins de santé et de salaires publics peuvent augmenter. Sur ces chiffres, les gouvernements devront construire des « plans budgétaires stratégiques », avec lesquels ils devront expliquer comment ils entendent respecter le nouveau plafond des dépenses publiques. Ces plans ne peuvent pas être modifiés pour l’ensemble de la législature. La communication de la « trajectoire » est jugée si délicate que la Commission européenne a décidé de ne pas la rendre publique, de la garder secrète. Pouquoi? Car à la base il y a une analyse de la soutenabilité de la dette publique des différents pays que Bruxelles ne veut probablement pas alimenter les marchés. Et là, il y a une faille majeure dans les nouvelles règles européennes, car cette analyse de la dette, comme le souligne Giuseppe Pisauro, ancien président du PUB au Parlement, risque de devenir une « boîte noire » dans les règles budgétaires. Une évaluation de la dette basée sur des détails techniques irréalistes et incapables de saisir la réalité des choses. Le cas de l’Italie est exemplaire. En valeurs absolues, la dette publique approche les 2 900 milliards d’euros. Près de 140 pour cent du PIB. Mais comme garantie de cette dette, il y a l’économie d’un pays qui, contrairement à ce qui s’est passé à l’époque de l’austérité, n’est plus le train de queue de l’économie européenne. L’Italie est devenue une locomotive. Il suffit de lire les données du dernier rapport de la Banque d’Italie. À la fin de l’année dernière, le solde créditeur de la position extérieure globale s’élevait à 155 milliards d’euros. Depuis fin 2013, cet excédent augmente au rythme de 50 milliards par an. Cela signifie que les entreprises italiennes remportent le défi sur les marchés étrangers. Il y a quelques jours, la Fondation Edison a publié une étude sur l’Italie et le G7 qui, avec les données en main, démontrait que le cycle économique italien s’était déjà sensiblement redressé entre 2014 et 2017. La croissance de l’économie après le Covid-19 a été l’une des plus fortes parmi les économies du G7, tant en termes de croissance du PIB total que du PIB par habitant. La compétitivité des exportations italiennes a considérablement augmenté, grâce également au puissant cycle d’investissements dans les machines et les nouvelles technologies stimulé par le Plan Industrie 4.0.

LA RÉALITÉ DES DONNÉES

L’industrie italienne, comme le certifie la Banque d’Italie, est aujourd’hui l’une des plus robotisées au monde, notamment dans ses secteurs de plus grande spécialisation internationale. En 2023, l’Italie est devenue le cinquième exportateur mondial (hors Pays-Bas, dont les exportations sont majoritairement constituées de marchandises en pur transit), dépassant la Corée du Sud. Les principaux secteurs du Made in Italy ont cumulé en 2023 un excédent commercial de plus de 200 milliards de dollars. La croissance du pays dans les exportations de produits alimentaires, pharmaceutiques, de machines industrielles, de luxe et de design, de construction nautique et navale, explique le rapport de la Fondation Edison, a été rapide ces dernières années. Quels sont les effets de ce dynamisme des entreprises italiennes ? Que la croissance du pays dépasse désormais systématiquement les estimations des analystes. L’Allemagne et la France ne peuvent pas en dire autant. En effet, le premier apparaît de plus en plus comme un colosse aux pieds d’argile.

Mais il y a aussi un autre point que la « boîte noire » qui analysera la soutenabilité de la dette italienne ne prendra probablement pas en considération : la richesse des familles et des entreprises. La richesse nette des familles italiennes calculée par l’Istat s’élève à 10,421 milliards d’euros. Elle comprend l’épargne (entendue comme dépôts et placements financiers) et l’immobilier, pour lequel les Italiens ont une propension marquée. Cette richesse vaut plus de cinq fois le PIB, soit 500 % du produit intérieur brut si l’on voulait utiliser un paramètre similaire à celui utilisé pour évaluer la dette. Et les Italiens ont démontré qu’ils pouvaient et voulaient utiliser cette richesse pour soutenir les titres publics. En un peu moins de deux ans, la part des BTP dans les portefeuilles des ménages est passée de 6 % à près de 14 %. Il est judicieux de réduire les dépenses publiques improductives, tout comme de réduire la dette pour éviter qu’elle ne devienne une hypothèque pour les générations futures. Mais s’il y a un pays en Europe qui a fait ses devoirs, et qui les a bien fait, c’est bien l’Italie.

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