«Mégalopolis», la folie de Coppola où la Rome antique prend vie dans un New York post-apocalyptique

On quitte la projection de Megalopolis, le film de Francis Ford Coppola que Cannes a présenté hier en compétition, avec une idée : que le réalisateur du Parrain et d’Apocalypse Now, tout juste sorti de ses 85 ans, a encore une grande confiance dans le cinéma, qu’il reconnaît la force et l’énergie d’une créativité inépuisable. Sans se soucier ni des attentes du public ni de sa propre préciosité auctoriale. Et avec les temps actuels, ce n’est pas rien. Car on peut dire n’importe quoi sur son dernier film, kitsch, prétentieux, discontinu, mais on ne peut s’empêcher de reconnaître son ambition hors du commun. Et non pas parce qu’il utilise l’histoire de la Rome antique pour parler de notre avenir mais parce qu’il veut utiliser la « machine à cinéma » pour donner une nouvelle forme à ses idées et offrir au spectateur un spectacle inédit. Commençant par choix d’utiliser un film 70 mm et de le projeter dans un cinéma aménagé pour le format Imax, comme cela s’est produit hier matin à Cannes, où la presse a été transportée hors de la ville dans une salle prévue à cet effet, profitant également d’un surprenant événement imprévu : dans la scène où Adam Driver, dans le rôle de Cesare Catilina, devait répondre à des questions à Lors d’une conférence de presse, une lumière latérale montrait un “acteur” qui se positionnait avec le micro devant l’écran et faisait croire qu’il s’adressait directement à Catilina sur l’écran, qui naturellement répondait de la même manière. Un intermède difficile à reproduire dans des projections grand public mais significatif pour une idée d’implication que personne n’avait encore vécue de cette manière. Nous parlions de Catilina : la référence voulue est précisément à l’ancien homme politique romain qui tenta de renverser l’ordre républicain en 63 avant JC et même si le film se déroule à New York, dans un futur pas très lointain,Une voix off au début de Megalopolis souligne le parallèle avec le caput mundi de l’Antiquité et le risque que l’avidité et la soif de pouvoir ruinent les gens aujourd’hui comme ils le faisaient il y a deux mille ans.

Même dans le film de Coppola il y a un Cicéron, nommé Frankie (Giancarlo Esposito), maire de la ville et naturellement grand ennemi de Catilina qui, à la tête de la commission d’urbanisme, rêve de détruire l’ancien pour créer de nouveaux espaces environnementaux plus écologiques. Nous entendrons le maire, vers le milieu des 135 minutes du film, tonner (même si en anglais) le fameux tandem Quousque abutere, Catilina, patientia nostra ? (Jusqu’à quand abuseras-tu de notre patience, ô Catiline ? pour ceux qui ont oublié le latinorum scolastique) mais les relations entre les deux antagonistes sont bien plus nuancées et contradictoires, également grâce à la belle Giulia (Nathalie Emmanuel), qui bien qu’elle soit la fille de Cicéron, aime Catiline. Et puis il y a le représentant du pouvoir économique, Hamilton Crassus III (Jon Voight), propriétaire de la banque qui tente son fils Clodius (Shia LeBoeuf) et le journaliste sans scrupules Wow Platinum (Aubrey Plaza). Les liens entre ces personnages sont naturellement beaucoup plus complexes et détaillés (les vieilles mères, les sbires, les comparses entrent également en jeu) et Coppola, qui a produit et écrit seul le film, confiant la réalisation du deuxième bloc à son fils Roman, il se plaît à adapter les jeux des Saturnales agrémentés de courses de chars et d’hommages à la déesse Vesta (Grace VanderWaal) à sa Mégalopole sans oublier quelques allusions aux mots d’ordre du populisme trumpien

Mais la force du film (qui peut paraître à certains trop ambitieux et trop hors norme) est sa nature visionnaire, son jeu avec le parallélisme romain-antique, sa capacité à voir les racines de nos défauts modernes dans le passé (exhibitionnisme, cupidité, duplicité) mais surtout l’envie d’expérimenter de nouveaux langages où la dernière chose qui l’inquiète est la cohérence expressive. Ainsi, l’écran se remplit d’images numériques et analogiques, de réalités refaites en studio et sur les écrans de télévision, et de temps en temps il se brise, avec trois images parallèles qui dialoguent, se chevauchent ou se confondent. Comme Abel Gance l’avait fait avec Napoléon il y a près de cent ans ? Oui, car pour Coppola le cinéma ne cesse de renaître.