«Les derniers jours de Jeanne d’Arc comme dans un film»

«Pour écrire cet ouvrage, j’ai passé quatre ans et demi à m’intéresser aux langues et à la relation historique entre oralité et écriture, entre prosodie rythmique et prose littéraire, entre texte et images. Parce que ceux qui ne connaissent pas les ténèbres ne peuvent pas comprendre la lumière. » Roberto De Simone affiche fièrement le premier exemplaire d’un nouvel ouvrage qui vient de paraître, Dell’Arco Jeanne d’Arc – Mystère cinématographique pour la musique (à paraître chez Colonnese), livre consacré à la Pucelle d’Orléans. Cent soixante pages parmi lesquelles se distinguent les intéressantes illustrations au crayon de Massimo Forte, ami et collaborateur du maître, tirées de textes anciens, en premier lieu le plus ancien portrait existant de Jeanne extrait du registre du Parlement de Paris de 1429 conservé de Clément de Fauquembergue.

Compositeur, mais aussi écrivain, metteur en scène, chercheur et musicologue, le maestro, qui a eu quatre-vingt-dix ans en août de l’année dernière, n’a jamais arrêté son activité créatrice toujours fervente. Et voilà qu’il fait revivre l’héroïne française en laissant place aux voix populaires et institutionnelles qui caractérisent son histoire, les voix de l’arbre, du marché, du procès…. De nombreuses références, des chœurs, des textes pour sopranos, ténors, basses et contraltos, madones, mendiants et paysans, officiers et sentinelles, chants dévotionnels et grégoriens. Ils parlent surtout du tribunal d’inquisition qui a condamné l’héroïne malgré son appel au pape de Rome, composé d’évêques, de théologiens et de docteurs en droit canonique. Un mix qui n’a d’égal que la partie musicale (à laquelle il a collaboré Antonello Paliotti), une partition encore inachevée, qui commence par trois coups de trompette et est une sorte d’annonce de l’opéra – à la manière de Wagner – dans laquelle les références à « Bella ciao », le « Salve Regina » en latin, le notes d’un musicien flamand, Johan Antiquis, avec sa «Missa sine nome» jusqu’à «Ma fin est mon commencement», le célèbre canon médiéval de Guillaume de Machaut instrumenté pour guitare et cordes.

Dans la publication, cependant, l’accent n’est pas mis sur les célèbres batailles mais sur les derniers jours de la Vierge Martyre de France, la jeune fille qui d’une simple paysanne s’est transformée en héroïne qui a dirigé l’armée française contre les Anglais au cours des Cent Ans. War, accusée de sorcellerie et morte sur le bûcher en 1431, à Rouen, alors qu’elle n’avait que 19 ans. Un personnage qui, avec sa légende transmise même oralement, a toujours intéressé l’érudit napolitain qui, sans surprise, consacre le volume à la mémoire de l’anthropologue. Annabella Rossi avec qui il a collaboré au début de ses recherches sur le terrain. Par ailleurs, il y a quelque temps, dans une librairie ancienne de Paris, De Simone a trouvé un petit volume contenant les documents du procès de Giovanna, imprimé en 1953. Un autre texte de référence pour lui était Le mystère du siège d’Orléans, une œuvre de poésie en vieux français. du milieu du XVe siècle et conservé à la Bibliothèque vaticane, récemment rendu accessible : une source, explique-t-il, « d’informations précieuses sur les croyances populaires d’un Moyen Âge qui ont survécu dans la pensée paysanne d’Europe jusqu’au milieu du XXe siècle » . Mais, ajoute-t-il, «outre la copie latine réalisée par Mgr Pierre Cauchon de Beauvais, président du procès d’office et de condamnation, j’ai fait référence au manuscrit dit Urfè, c’est-à-dire à la copie notariée réalisée, séance après séance, jour de jour, de façon improvisée, par le notaire Guillaume Desjardins, où se dessine la brillante personnalité mystico-religieuse de l’héroïne lorraine”.

Une personnalité qui a conquis De Simone et l’a amené à créer cette nouvelle “partition musicale et cinématographique” extraordinaire, un texte non théâtral en raison de l’impossibilité d’être représenté sur une scène normale, qui contient également les indications des plans comme dans n’importe quel soi. -respecter le scénario. Par exemple, parmi les premières pages on lit : « Plan large d’une basse-cour avec des arbres, un très grand hêtre, une fontaine. Trois petites filles jouant au ballon, diverses coupes du jeu.”

La nécessité d’arriver à cette solution, fruit de nombreuses recherches, est expliquée par De Simone lui-même dans une postface introductive à la lecture. « Du cinéma, la littérature, la musique (symphonique ou grand public), les images, les mots, les sons, attestent depuis longtemps de la persistance de la figure de Jeanne d’Arc dans notre réalité : une présence presque comme une nécessité représentative, enracinée, probablement, dans une vide progressif de l’imaginaire de masse informe”, écrit le musicologue. Qui n’a pas manqué de retracer la lecture des textes dramaturgiques inspirés par la figure de Jeanne, en considérant les œuvres écrites entre le XIXe et le XXe siècle motivées par la romantisation et la canonisation de Jeanne, béatifiée en 1909 et proclamée sainte par le pape Benoît XV en 1920.

Tout cela très loin du mélodrame verdien “pompeux et nationaliste”, mais aussi du premier opéra écrit sur l’héroïne française, dérivé du texte de Shiller, composé par un musicien napolitain pratiquement inconnu aujourd’hui, Michèle Carafa, opéra joué à Paris en 1821 mais jamais à Naples. Et à d’autres œuvres musicales, cinématographiques et en prose, dont celles de Bertolt Brecht. Même si, avoue le maestro, ce qui a motivé sa première ébauche, c’est une fiction radiophonique des années 1950, écrite par Anna Seghers, à laquelle il fait également référence dans le texte.

Autant de sources donc qui ont alimenté le projet du savant qui relie, entre autres, le culte de San Michele répandu sur le Gargano dans le sanctuaire du Ve siècle sur la Via Francigena au Sud et celui actif en Normandie au Mont Saint Michel, près du pays de notre Pulzella. Un culte qui revient également sur la couverture du volume dans lequel est représenté un fer à cheval qui est aussi une « arche » où la sainte et son mythe sont évoqués, en fonction de nombreux facteurs. Partant de sa naissance, survenue le 6 janvier, jour de l’Epiphanie, pour arriver à ses pouvoirs prophétiques, aux prodiges sensationnels (dont la résurrection d’un enfant mort depuis trois jours), aux facultés de lévitation, de guérison, visions d’anges et de saints. Une héroïne qui faisait l’objet d’un culte de son vivant avec ses vêtements masculins, les cheveux coupés, armée d’une épée et vainqueur d’une armée considérée comme invincible.

Un personnage qui aujourd’hui, avec un terme politiquement correct, pourrait être défini comme “gender fluide”. Ce n’est pas un hasard si au lecteur qui s’apprête à apprécier l’ouvrage peu facile à utiliser, face à une telle masse de suggestions historiques, culturelles, visuelles et sonores, De Simone indique simplement les paroles d’une lettre de saint Paul à Philippiens : « Vous ne devez pas me comprendre, vous devez m’entendre. »

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