Aller-retour d’une dystopie linguistique et culturelle. Traduire « Ici, le chemin se perd » par Peské Marty

Aller-retour d’une dystopie linguistique et culturelle. Traduire « Ici, le chemin se perd » par Peské Marty
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De minimal et moralité publié lundi 22 avril 2024 · Ajouter un commentaire

De Daniele Petruccioli

“La nuit du bal était une nuit caucasienne.”

C’est la première phrase d’un livre que vient de publier chez Adelphi dans ma traduction, un roman de plus de quatre cents pages co-écrit par Antoinette Peské et Pierre Marty, époux auteurs de trois romans communs, dont celui-ci. On sait très peu de choses de lui, si ce n’est qu’il était juriste de formation et passionné de philosophies orientales. Mais le personnage intéressant, il va sans dire, c’est elle.

Fille d’un peintre polonais qui avait étudié à Paris avec Pissarro et était un ami proche de Marie Curie et d’Apollinaire, c’est ce dernier qui reconnut en Antoinette un grand talent poétique dès l’âge de huit ans, en voyant ses poèmes affichés à la Galerie Malpel. en 1914, alors que la jeune fille n’avait que dix ans. Selon l’écrivaine elle-même, le poète avait également eu l’intention de les faire publier, mais sa mort en 1918 aurait ruiné le projet. Cependant, les déclarations de ce conteur hors du commun doivent être prises avec le bénéfice d’un inventaire. Au cours de ses 81 années de vie, il ne s’est pas limité à la poésie et à la co-écriture de livres, mais à l’âge de trente-sept ans, il a signé son propre roman (La boîte à os, pour Denoël) qui ne lui valut que le succès de Cocteau. Dans les années 1950, trois romans co-écrits avec son mari et signés « Peské Marty » sont publiés, dont l’un – précisément le Chemin – pour Gallimard.

Ce sera Jean-Pierre Sicre, fondateur des éditions Phébus, qui le redécouvrira et le rééditera dans les années 2000. Et c’est encore Sicre qui insinue que c’est Marty, peut-être le moins « écrivain » des deux, qui a eu davantage un rôle dans le film. Chemin (contre les déclarations de Peské de son vivant, ce qui ne peut être nié étant donné que Marty était déjà mort depuis une trentaine d’années), sur la base de son ubertosité linguistique et narrative, étant donné que La boîte à os il semblerait plutôt « taillé dans la glace », pour reprendre les mots de Sicre. Ici aussi, personnellement, je ne lui ferais pas trop confiance, connaissant la polyvalence et, pour ainsi dire, la pluralité biographique de Peské, née à Paris en pleine Belle Époque d’une impressionniste slave et d’une noble de Kjachta, une ville du la frontière russo-mongole, au sud du lac Baïkal. Mais venons-en au roman.

Ici le chemin se perd commence lors d’une grande danse dans la neige, sous un tapis d’étoiles et de masques violets, au cours de laquelle est rendue publique la nouvelle de la mort d’Alexandre Ier – le tsar révolutionnaire qui selon Tolstoï ne mourra pas mais deviendra le mystique Fiodor Kuz ‘mič, capable de faire pleurer l’impitoyable Nicolas Ier – et continue le long voyage vers l’Est de trois personnages (qui pourraient – ​​ou peut-être pas – n’en être qu’un). Du point de vue de l’intrigue, cela va des crises mystiques d’un moine orthodoxe aux amours entre esclaves turkmènes à Samarkand, en passant par les intrigues politiques dans les forêts sibériennes, avec leurs loups et leurs communautés religieuses rebelles (qui sont de très près ressemblent aujourd’hui à certaines colonies mennonites américaines), aux lamaseries tibétaines avec leurs rites magiques tantriques.

D’un point de vue linguistique, je ne trouve pas de meilleur adjectif que «ubertoso». Il y a une inflorescence minutieuse d’éruditions voire contradictoires dans ce voyage en Extrême-Orient russe (Sibérie, bien sûr), mongol, chinois et tibétain. en même temps. Pensez simplement à l’adjectif « Ciscaucausien » avec lequel s’ouvre l’histoire.

D’un point de vue culturel, un livre publié en France en 1955 et écrit par deux – dirions-nous aujourd’hui – Français d’origine mongole et slave, deux ans seulement après la mort de Staline (et un an avant le XXe Congrès du PCUS – où , après de nombreuses années, il convient peut-être de le rappeler, sous le secrétariat de Khrouchtchev on a dénoncé le culte de la personnalité qui lui était rendu), dans lequel il s’agit de tsars qui deviennent des saints, d’esclaves aux amours homosexuelles, de pèlerins qui deviennent des magiciens et luttent contre les démons pour être sauvées par des filles mortes, ont inévitablement eu un impact très fort sur l’Europe de ces années-là. Il voulait visiblement sauver un imaginaire qu’il percevait comme moribond. D’où la superfétation de thèmes, d’environnements et même d’adjectifs. D’où l’importance d’adhérer à cette imagerie – comme un gechetto à un verre transparent.

La traduction est l’art d’écouter et de lire (ce sont des choses étranges, de Gadamer à Calvino) et en Ici le chemin se perdà mon avis et à mon avis à la maison d’édition, il fallait d’une part une précision philologique inébranlable, et de l’autre la dextérité d’un pilleur de tombes.

Au premier point de vue, heureusement, étant donné que les thèmes de ce livre auraient facilement pu être commandés par son éditeur italien (qui a d’ailleurs dans son système nerveux et circulatoire, je dirais, l’aspiration qui a souvent réussi à ressusciter des données imaginaires pour mort), il suffisait de rappeler que, même pour les textes plus largement bouddhistes, j’avais à Adelphi des textes prêts et déjà très bien traduits de Bhartrhari à Gombrich et de Marpa la traductrice au roi du monde. J’ai également pu demander conseil à Kristin Blancke, qui a toujours traduit pour Adelphi, avec Franco Pizzi, Les cent mille chants de Milarepa et dont l’aide était essentielle. Pour tout ce qui concerne la Russie et la Sibérie, depuis la translittération correcte de d’jak à la description mécanique des tarantàs, le Ciel de la littérature nous a miraculeusement offert Claudia Zonghetti (dont les traductions du russe – de Boulgakov à Grossman, de Tolstoï à Dostoïevski – ne valent même pas la peine d’être mentionnées). Je suis heureux de pouvoir remercier ici deux des très nombreux collègues qui forment la communauté miraculeuse, hautement cultivée et généreuse des traducteurs et dont je suis fier d’être honoré de faire partie.

Du point de vue de la récupération et – disons-le – du vol linguistique et culturel, il s’agissait de faire un voyage dystopique à rebours. J’ai pu à nouveau prendre plaisir à le parcourir Le million Et La redevance pôle, ressusciter (d’accord, d’accord : voler) des traits stylistiques et des tournures de phrases de Salgari à Mircea Eliade. Tout en rappelant qu’il ne faut jamais avoir peur d’un chapeau étrange, d’une couleur inhabituelle pour un coucher de soleil, d’un cri de guerre incompréhensible.

J’ai vraiment apprécié, je l’avoue. J’espère que ce livre trouvera des lecteurs de pilleurs de tombes aussi peu scrupuleux que moi.

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