Éditeurs et pirates | Mangialibri depuis 2005, jamais de régime

Éditeurs et pirates | Mangialibri depuis 2005, jamais de régime
Éditeurs et pirates | Mangialibri depuis 2005, jamais de régime

Les premiers à discuter du droit d’auteur et des privilèges sur les œuvres intellectuelles furent Emmanuel Kant et les illuministes deEncyclopédie: dans le Métaphysique des coutumes (1797) Kant ne reconnaît pas une propriété dans un livre, mais l’expression de pensées qu’un écrivain livre à un libraire, lui déléguant le soin de les diffuser. Le libraire remplit donc la fonction d’un agent qui prend contact avec le public et lui propose un produit : ici entre en jeu le lobby des libraires qui se permet de décider quels livres peuvent être distribués et lesquels ne le peuvent pas. On comprend alors comment à Paris les libraires, proches de la noblesse de l’Ancien Régime, ont empêché la diffusion de produits inconvenants, comme ceux développés par les Lumières, à commencer par Voltaire, Diderot et D’Alambert, qui, tour à tour, Pour faire connaître leurs idées, ils doivent recourir à des éditeurs et à des libraires hors du périmètre parisien. Dans ce contexte le contrefaçons, des pirates qui s’approprient les œuvres de l’intellect, les reproduisent et les publient, les plaçant dans le monde parfois clandestin de l’édition. C’est un territoire vierge, encore inexploré, où tout semble légitime. En réalité, la première véritable révolution culturelle depuis le Moyen Âge est en train de s’opérer, puisque le savoir universel, contenu dans un livre – c’est le sens de l’encyclopédie, ou du « savoir circulaire » – détermine la liberté des idées : l’objectif du soi- appelés intellectuels des Lumières est en fait d’éclairer avec leurs idées. Mais toute lumière a besoin d’un flambeau, et ce flambeau devient le livre, un instrument de liberté…

L’essai de Robert Darnton, fruit de cinquante années d’études approfondies et de fouilles archivistiques, entraîne le lecteur au cœur battant, idéologique, politique et factuel de la connaissance contemporaine, oscillant entre droit, privilège et opportunité. Darnton dévoile un aspect non secondaire des Lumières, celui qui a décrété la fin du monopole culturel de l’Ancien Régime, c’est-à-dire la définition programmatique et politique du libre savoir comme instrument d’émancipation. Car les idées, pour se propager, doivent aussi avoir du pied et surmonter les obstacles et les contraintes idéologiques, mais aussi physiques. L’explosion de la piraterie éditoriale, aujourd’hui condamnée à juste titre, était un phénomène de la fin du XVIIIe siècle qui garantissait l’émancipation culturelle car il mettait à mal les limitations idéologiques imposées par l’édition traditionnelle. Darnton retrace un circuit socioculturel qui résonne en opposition à la culture conservatrice parisienne et se réfracte dans certains centres de province (Lyon et Rouen) pour arriver en Suisse (Neuchâtel et Genève) et en Hollande (Maastricht et Amsterdam), pour revenir avec toute sa puissance révolutionnaire. à charge jusqu’à la capitale française. Il est étrange de voir comment l’histoire de nombreux textes désormais célèbres est également liée à la diffusion de textes de qualité littéraire douteuse (pamphlets pornographiques), comment le chemin du livre-objet s’est dissous face au besoin de produits agiles et peu coûteux. (le papier du XVIIIe siècle a très peu de valeur, obtenu pour la plupart à partir de chiffons usagés) en raison de la nécessité de répondre à un besoin de connaissance, autrement étouffé. C’est l’histoire de la révolte contre le capitalisme prédateur hall d’entrée livres faits de revenus et de privilèges, est l’histoire de la nouvelle société des droits, qui a le savoir comme levier d’émancipation.

PREV Le vendredi 28 juin, le livre sur un scénario interrompu sera présenté à la Casa Pascoli
NEXT Le livre des nombres : un spectacle contemporain au cœur du Grand Paradis