Turin – Teatro Regio : Le Hollandais Volant

Envoyer à un ami

“Ici, je suis fidèle jusqu’à la mort !”, l’invocation finale de Senta se termine par un coup de couteau de l’héroïne qui met ainsi fin, selon le réalisateur Willy Deckerà la saga tragique du Hollandais volant et ses éternelles errances à travers les mers.

L’élément central de Opéras romantiques écrit par un Wagner qui n’a pas encore trente ans, c’est-à-dire la rédemption du protagoniste grâce à la fermeté d’un amour fidèle, ne sort pas de l’œuvre de Decker, créateur de cette mise en scène duHollandais volant pour l’Opéra Bastille, désormais repris par Riccardo Fracchia à la Regio di Torino après une première édition qui a eu lieu il y a une dizaine d’années. De manière assez discutable, l’interprétation du réalisateur allemand privilégie la dimension onirique et psychanalytique de l’histoire, négligeant presque totalement tout aspect réaliste.

Sur scène, il n’y a pas de navires, de tempêtes de mer ou de fjords qui ont tant inspiré Wagner dans la composition deNéerlandais. Aucune suggestion : tout reste à un niveau purement mental, peut-être seulement imaginé par les protagonistes. Decker semble également ignorer le sens de l’œuvre dans laquelle le drame du protagoniste ségrégué – contraint à la solitude par une incessante errance en mer – contient le conflit humain de la recherche éternelle de la paix.

La scène unique des trois actes (à l’origine fusionnés en un seul par Wagner) est une vaste pièce nue sur laquelle s’ouvre une porte blanche, élément intermédiaire avec un extérieur impénétrable comme le destin humain ou l’inconscient. Les costumes génériques de Wolfgang Gussmann (également responsable de la mise en scène) place le récit dans une dimension intemporelle efficacement renforcée par les lumières immatures et sombres de Hans Tölstede ici tiré de Vladi Spigarolo. La mer – turbulente et menaçante – évoquée par la partition ne peut être perçue visuellement que par la présence d’une grande marine accrochée à un mur et des longues aussières déployées dans la salle et tenues par les marins.

Les messes chorales du Regio et du Maghini ont été solidement préparées par Ulysse Trabacchin. Les équipes masculines et féminines – clairement divisées dans ce travail – ont été bien mises en valeur dans leurs interventions respectives.

Le protagoniste a été parfaitement interprété par Brian Mulligan dont la voix pleine et claire donnait une pleine importance musicale au mystérieux navigateur. Pour le baryton américain on se permet seulement de suggérer un approfondissement supplémentaire des nuances expressives pour souligner davantage le caractère douloureux et désespéré du personnage.

Bien qu’indisposé et plutôt sans voix (cela avait été annoncé en début d’émission), Gidon Saks il soutient néanmoins courageusement le parti de Daland.

Johanni Van Oostrum elle était une Senta expressivement raffinée dans la véhémence de son engouement morbide pour l’homme pâle et sombre. Dans la ballade (cœur de l’œuvre) on a aimé ses tonalités introspectives et la douceur des attaques ardues qui caractérisent la célèbre pièce. Le chanteur a une voix à l’émail envoûtant et musicalement précis.

Le test était très positif Matthieu Swensen (le timonier) tandis que Robert Watson (Erik) a montré qu’il possédait un instrument vocal trop léger pour ce rôle et en effet, lors de la dernière confrontation désespérée avec Senta, la voix du ténor s’est légèrement cassée. Assez Annely Peebo comme Marie.

Nathalie Stutzmann, déjà contralto dédié en particulier au baroque et maintenant à la direction d’orchestre, a obtenu des résultats appréciables de l’Orchestre del Regio tant dans les moments de puissance tourbillonnante que dans les oasis lyriques. Le nombreux public présent à la première a chaleureusement rendu hommage à tous les interprètes.

Alors que la prochaine saison a été présentée (de l’avis de l’écrivain, plutôt monotone dans ses propositions), on espère que Turin, avec Bologne et Venise, villes à vocation historique wagnérienne, reviendront dans le futur pour consacrer plus d’espace à le compositeur de Leipzig et de la Regio, en particulier, trouve le courage de proposer une nouvelle production de Anneau (absent depuis 1989).

La critique fait référence à la première du 17 mai 2024

Lodovico Buscatti

PREV Foire pastorale, un comité est né – Teramo
NEXT Mimmo Lucano à Ferrare entre émotion et espoir