Monteverdi, réalisateur Fredj : « Mon Orphée a peur de la mort »

Monteverdi, réalisateur Fredj : « Mon Orphée a peur de la mort »
Monteverdi, réalisateur Fredj : « Mon Orphée a peur de la mort »

CRÉMONE – Les Ponchielli inaugurent demain le Festival Monteverdi avec une nouvelle production d’Orphée du réalisateur français Olivier Fredj. Après son très célèbre succès au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles avec Bastarda, un coupé-cousu des opéras élisabéthains de Donizetti, il s’essaye pour la première fois, lors de ses débuts en Italie, à mettre en scène un opéra monteverdien, en s’inspirant de Jean Cocteau. .

Premier réalisateur en Italie et première fois avec Monteverdi. Quelles différences avez-vous rencontrées entre le théâtre international et italien ?
“C’est étrange. Cela semble cliché, mais pour moi, c’était comme rentrer à la maison. On sent que l’opéra est né ici.”

Quel effet a eu sur vous le fait de travailler avec Monteverdi et cet opéra en particulier, c’est-à-dire d’aborder un répertoire complètement différent de celui auquel vous êtes habitué ?
«Je rêvais depuis longtemps de mettre en scène un opéra baroque, notamment de Monteverdi. Monteverdi est très théâtral, la musique de Verdi s’apparente à celle du cinéma muet, qui accompagne l’action, tandis que celle de Puccini est déjà proche du cinéma qu’on connaît.”

Comment vous êtes-vous retrouvé avec cette œuvre en particulier, Orfeo ?
«Orfeo s’adresse à un public extrêmement cultivé qui a su saisir les nombreuses références à la mythologie et à la littérature grecque présentes dans le livret. Aujourd’hui, les gens connaissent Orphée qui va en enfer pour récupérer Eurydice, mais ils ne connaissent pas toute la structure mythologique qui l’entoure, donc le livret pose problème. J’ai choisi de travailler avec des sous-textes, plutôt que d’essayer de relier chaque mot à la mythologie. Par exemple, j’ai imaginé le personnage de Music in the Prologue non pas comme une personnification, mais comme le présentateur des Oscars, accueillant le public dans la salle. J’ai évité les allégories et j’ai imaginé la Musique et Apollon comme les créateurs d’une action spécialement conçue pour Orphée.

Alors comment avez-vous imaginé cette œuvre ?
«J’ai maintenu la dramaturgie de l’œuvre, en continuant à raconter l’histoire, mais je l’ai adaptée à mon idée. Les pasteurs deviennent par exemple des amis d’école. Nous avons retiré Orphée de son époque sans l’insérer dans une autre. Ce n’est pas l’époque qui compte, mais la relation des personnages avec Orphée.”

Le livret parle d’Orphée comme d’un demi-dieu, mais Striggio met en valeur sa composante humaine. Selon vous, qu’est-ce qu’Orphée ?
“C’est un mythe”.

C’est-à-dire?
«Insérer une personne dans un spectacle, au milieu d’un groupe de personnes, pour lui faire vivre une expérience, signifie qu’Orphée n’est ni un dieu ni une personne réelle : Orphée est coincé dans une histoire qu’il ne comprend pas».

Comment cet « orphéocentrisme », la rotation de personnages moins détaillés autour d’Orphée, est-il résolu scéniquement ?
« Dans ce spectacle, chacun est acteur jouant pour Orphée. On sait déjà que les personnages existent et agissent pour Orphée et pour le public. Leur définition dépend de l’effet qu’ils doivent avoir sur le protagoniste. »

L’opéra est né à Florence en 1600 avec Rinuccini, Peri et Caccini, et avait Euridice comme protagoniste. Dans Orfeo, sept ans plus tard, Euridice ne chante que douze vers. Quel rôle Euridice joue-t-elle dans votre direction ?
«Eurydice est la raison de la musique et des émotions d’Orphée. En accord avec le réalisateur (Francesco Corti, ndlr), Euridice et Musica seront interprétés par le même chanteur. Euridice fait partie du « spectacle » organisé pour Orphée. Les deux fois où chante Euridice changent tout dans l’âme d’Orphée. Eurydice/Musique « sert » Orphée : il accepte de mourir pour lui permettre de vivre la suite de l’histoire. Le mystère de la mort d’Orphée et la validation de son identité ne peuvent être expliqués : c’est pourquoi nous essaierons de donner plus d’émotions que d’explications.

La musique d’Orphée a un pouvoir civilisateur et magique, mais Orphée est finalement vaincu. Vous êtes-vous demandé pourquoi vous étiez vaincu ?
«Non, parce que pour moi Orphée n’a aucun pouvoir. Le pouvoir appartient à Musica/Eurydice. Orphée fait de la musique parce que ce sont les autres personnages qui l’invitent continuellement à chanter et à jouer. Il n’y a pas de magie, mais un pouvoir créé par nécessité. Alors pourquoi Orphée se tourne-t-il vers Eurydice alors qu’ils quittent les Enfers ? Pourquoi Orphée croit-il que l’amour est plus fort que la mort ? Orphée a besoin d’être aimé, il s’annule sans Eurydice : c’est l’ego d’Orphée. Orphée se sent invincible, son ego alimenté par le regard d’Eurydice. Et puis il y a la peur de la mort : Orphée se détourne parce qu’il a peur de disparaître sans Eurydice.”

Avez-vous essayé de transmettre l’idée d’une fin heureuse qui a cependant un côté amer, étant donné qu’Orphée perd Eurydice pour toujours ?
«J’ai gardé une fin heureuse et philosophique. Pour moi, c’est plutôt un épilogue. Apollo présente le spectacle en duo avec Musica. Apollon raconte à Orphée la fin du spectacle, et Orphée comprend le théâtre, la musique, l’art comme des expériences qui lui permettent de toucher des mystères incompréhensibles.

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