Deux dirigeants, un parti

Depuis que l’attention de la politique, des médias et de l’opinion publique s’est déplacée de la vie parlementaire vers les élections européennes, l’homme politique le plus populaire et le plus visible de France est devenu Jordan Bardella, 28 ans, président du parti d’extrême droite Rassemblement National (RN). Bardella est présent quotidiennement sur les réseaux sociaux, il rend la droite identitaire française plus captivante, il est perçu comme un homme politique “proche du peuple”, même des moins aisés, et les sondages disent qu’aux élections européennes, la liste était en tête par lui, et grâce à lui, prendra 33 pour cent.

Au sein du parti, Bardella a éclipsé la popularité de Marine Le Pen, leader historique de l’extrême droite française et jusqu’à récemment seul visage public du Rassemblement National. Ces dernières semaines, pour réaffirmer son rôle et ne pas risquer d’être éclipsée en vue des élections présidentielles de 2027 auxquelles elle compte se représenter, Le Pen a tenté de retrouver des espaces de visibilité et de reprendre son poids dans la dictée de la ligne politique.

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Depuis mai, Le Pen a accru sa présence médiatique en s’accréditant comme la principale opposante à Emmanuel Macron (dont la liste arrive en deuxième position dans les sondages), s’est présentée à l’improviste, s’invitant, sur scène lors des meetings de Bardella, et a multiplié les déplacements. et des réunions.

Mais les espaces dans lesquels Le Pen tente de rappeler quelle est la véritable hiérarchie au sein du Rassemblement National se situent surtout hors de France, dans les relations ou alliances avec d’autres formations d’extrême droite en Europe.

Le dimanche 19 mai, Le Pen était à Madrid à Viva24, une rencontre internationale organisée par la chaîne espagnole Vox : « Jordan Bardella ne peut pas tout faire », a déclaré Le Pen lorsque Le Monde ils lui ont demandé pourquoi ses dirigeants n’étaient pas présents aux élections européennes : « Et puis je connais ces gens depuis longtemps. Nous ne sommes pas d’accord sur tout, mais ils sont pragmatiques. Ils sont avant tout conscients de notre possibilité d’accéder au pouvoir en 2027 et de la perspective de notre leadership au niveau européen.”

Concernant la scission survenue fin mai avec Alternative für Deutschland, deuxième parti le plus populaire en Allemagne et jusqu’ici l’un des principaux alliés du Rassemblement national pour l’identité et la démocratie (ID, groupe d’extrême droite au Parlement européen), plusieurs Français Les journaux s’accordent à dire que c’est Le Pen qui a pris cette décision. Et c’est toujours elle qui travaille sur l’avenir de son parti en Europe, faisant par exemple l’hypothèse d’une union de la droite pour former un nouveau groupe au Parlement européen qui surpasserait les Socialistes et Démocrates (S&D, groupe de centre-gauche) en termes de nombre de parlementaires.

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Par ailleurs, au Rassemblement National, certains députés et dirigeants commencent à rappeler à chaque occasion utile que la campagne du parti pour les élections européennes doit beaucoup à Le Pen. Par exemple, le slogan efficace « J’ai hâte du 9 juin » est de lui, tout comme l’intuition d’utiliser l’expression « l’Europe de Macron » lors de la campagne électorale, associant l’idée d’Europe (peu populaire parmi les partisans du RN) ) à la figure de Macron, pour tenter d’affaiblir le parti du président. C’était aussi son idée d’organiser le programme RN autour d’une « stratégie tricolore », très efficace en termes d’immédiateté et qui distingue par des couleurs les secteurs dans lesquels la coopération entre pays serait acceptable, permise avec de nouvelles restrictions, ou strictement impensable.

Dans ce nouveau rôle principal de Bardella et dans la volonté de Le Pen de réaffirmer son rôle, les opposants politiques du RN entrevoient, et dans de nombreux cas espèrent, un futur conflit interne inévitable pour la direction qui affaiblira ce champ politique. Mais du RN, ils ont fait savoir que l’entrée de Le Pen dans la dernière phase de la campagne pour les élections européennes était attendue dès le début et ils nient toute sorte de frictions internes.

Pour l’instant en effet, rien ne laisse présager une rupture entre les deux dirigeants. Et la réaction face à la tendance de Bardella à se distancier de certaines lignes partisanes en est une démonstration. Par exemple, lorsque Bardella s’est prononcée contre les prix minimaux des produits agricoles après la protestation des agriculteurs largement soutenue par le RN, Le Pen est intervenue pour clarifier la position officielle du parti, mais elle n’a jamais adressé de critiques directes à Bardella et elle s’est toujours montrée prête à pour le défendre. Bardella, à son tour, n’a montré aucune aspiration à se présenter à la présidence du pays.

Cependant, certains journaux ont souligné que les sondages, surtout s’ils sont confirmés par les résultats des élections européennes, auront un impact sur l’avenir du parti. De même qu’il ne faut pas sous-estimer la cote de popularité de Bardella et que l’idée qu’il représentera le RN aux prochaines élections présidentielles à la place de Marine Le Pen commence à circuler avec de plus en plus d’insistance parmi les électeurs et les hommes politiques de droite. La même hypothèse a également été émise par certains députés du même RN qui estiment nécessaire de reconnaître pleinement la réussite de Bardella.

Défendre sa position et son avenir ne sera peut-être pas facile pour Le Pen, notamment en raison du procès pour détournement de fonds et collusion dans une escroquerie qui débutera le 30 septembre. Le Pen, avec son père et d’autres dirigeants du RN, est accusée d’avoir utilisé des fonds publics européens pour embaucher et payer des assistants qui travaillaient pourtant pour le parti en France. Elle est la principale accusée, le procès durera deux mois, et en cas de condamnation elle risque la prison, une amende et la suspension de toutes fonctions publiques pour les dix prochaines années : une éventualité qui l’empêcherait de se présenter à la présidence.

Arnaud Stéphan, expert en communication qui a accompagné Marine Le Pen lors de la campagne présidentielle de 2022, a soutenu que deux dirigeants d’un même parti ne peuvent coexister, dont l’un connaît également une forte croissance : « Il lui sera très difficile de revenir dans deux ans. et se présente comme le leader. Il n’est plus président du parti, il n’est pas présent aux élections européennes : s’il attend jusqu’en 2027 et reste à l’Assemblée nationale, il aura perdu la légitimité pour mener la bataille. Il doit reprendre le contrôle. » Mais pour l’instant, on ne sait pas exactement comment cela peut se produire.

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