La dame le souhaite ? “Monsieur Vénus”, l’incontournable roman “queer” de Rachilde revient

Dans le 1884 dans Belgiquechez un éditeur spécialisé dans littérature érotiqueun étrange roman intitulé Monsieur Vénus. L’auteur est Marguerite Eymeryqu’il utilise depuis ses débuts, avec le roman feuilleton La Dame des Bois de 1880, le pseudonyme de Rachele – qui, selon l’auteur elle-même, était le nom d’un gentleman suédois du XVIe siècle, avec qui elle est entrée en contact lors d’une séance et qui dicterait les mots avec lesquels écrire ses œuvres littéraires : une solution ingénieuse pour le positionnement d’un auteur qui écrit des histoires qu’une femme n’aurait même pas dû imaginer.

Ce n’est pas un hasard si, dans la rédaction de l’édition parisienne de 1889, Maurice Barrès, qui surnommait Rachilde «Mademoiselle Baudelaire», il écrira que les thèmes de Monsieur Vénus sont imputables aux conditions médicales de Rachilde, à ses dépression nerveuse et sa perversion, suivant un cliché bien connu sur le décadentisme qui m’a médicalisé. thèmes érotiques et scabreux de fin de siècle (et je viens de lire Dégénérescence que le médecin et sociologue Max Nordau publia en 1892).

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Et le titre suffit à vous prévenir que cette femme se déplace sur un terrain accidentédans une « région inconnue où l’inversion semblait être le seul régime permis » (ce sont des mots du chapitre 5 du roman), et «inversion» est un terme strictement médical qui fait clairement référence à la dégénérescence (et plus d’un titre de Rachilde joue sur l’inversion, comme La Marquise de Sade de 1887 ou Madame Adonis de 1888).

Monsieur Vénus (dont le sous-titre n’est pas moins significatif : Roman matérialiste) il vient immédiatement censuréRachilde condamnée à une amende et condamné à la prisonl’ouvrage a ensuite été réimprimé avec des modifications et encore modifié pour l’édition parisienne.

Monsieur Vénus Rachilde

Le scandale et le la censureaccompagné de l’accusation d’avoir inventé un nouveau vicebien sûr, ne font que contribuer à la renommée du roman – qui reste encore le plus connu de Rachilde.

En Italie, il n’a été traduit qu’en 1982 par Edizioni delle donne, et après avoir disparu depuis longtemps des rayons des librairies et des mémoires, il est enfin de nouveau disponible dans une nouvelle traduction de Matteo Pinna pour WOM Edizioni.

Monsieur Vénus s’ouvre avec Raoule de Vénérandele dégénérer protagoniste, qui nous est immédiatement présenté à travers un objet qui fonctionne immédiatement comme un signal du royaume d’inversion dans lequel nous nous aventurons : “son étui à cigarettes”, qui nous renvoie immédiatement au personnage atypique de Raoule, elle n’est pas une femme ordinaireune femme identifiée déjà au sixième vers à travers une chose (et on sait à quel point les objets sont importants dans le roman décadent) En tant qu’homme.

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Il en va de même pour Jacques, qui, tel un personnage de la mythologie grecque, est immédiatement présenté paré de fleurs, “autour de sa poitrine, sur son manteau flottant, une guirlande de roses était enroulée en spirale”. Raoule est une noble à la recherche d’une jeune couturière, mais qui retrouve son frère à sa place et tombe immédiatement amoureux de lui. Jacques, en l’apercevant, lui demande : “Est-ce que madame souhaite… ?” et la demande de courtoisie est immédiatement le thème du roman : le désir de la dame ou, peut-être mieux, du M de Vénérande, comme s’appelle Raoule elle-même.

Le désir au centre de Monsieur Vénus il est en effet un désir dans lequel les rôles de genre sont continuellement renversés, inversés, confusément confus: tandis que Raoule devient de plus en plus viril, Jacques se féminise de plus en plus.

De la confusion pronominale au travestissement, il n’y a qu’un pas, et le roman semble décrire cette parabole, dans laquelle au départ l’inversion est uniquement linguistiquepuis devenir réel jeu de rôle et s’appuyer sur le travestissement – ​​une pratique pas si anodine dans les années 1880, quand il existait encore une loi qui interdisait aux femmes de s’habiller en homme et vice versa : ce n’est pas un hasard si Rachilde elle-même a dû demander une autorisation spéciale pour se promener avec des hommes. vêtements (séduisant par l’aisance de mouvement lors de ses déplacements dans Paris pour ses reportages).

Les vêtements deviennent vite chair et les personnages, d’abord le langage, puis les objets, puis enfin les corps acceptent ces nouvelles identités.: notamment Jacques qui refuse, au final, la possibilité de vivre une expérience avec une femme et tente de séduire M. de Raittolbe qui, en réponse, le tuera en duel.

La métamorphose de Zambinella. L’imaginaire androgyne entre XIXe et XXe siècles

Le déguisement, comme cela arrive souvent dans les romans de la fin du XIXe siècle (Franca Franchi l’a montré dans La métamorphose de Zambinella. L’imaginaire androgyne entre XIXe et XXe siècles) montre clairement ce qu’il doit cacher, c’est-à-dire l’apparition d’un désir homosexuel. Et en fait, il existe de nombreuses références dans le code àhomoérotisme dans le roman de Rachilde : de l’omniprésent Antinoüs, au panneau représentant « Henri III distribuant des fleurs à ses favoris » (Henri III de France était en effet connu pour ses « mignons », et était souvent évoqué comme une référence codée à l’homosexualité).

Mais Monsieur Vénus il ne se résout pas simplement en un roman sur le désir homoérotique (et comme l’écrit Marjorie Graber dans Des intérêts truqués le travesti existe aussi dans sa littéralité) ; Celui de Rachilde est en effet avant tout un traité libertin sur le désir et la révolte contre la natureest une exaltation du corps (le corps de Jacques se définit comme un poème : que retiendra peut-être Jean Genet ?), de la beauté physique.

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Ce n’est pas un hasard si le septième chapitre (censuré après la première édition) est en fait un micro-essai sur le désir, sur la volupté : “On oublie la loi de nature, on déchire le pacte de procréation, on rejette la subordination des sexes». Ce qui est en jeu avant tout, c’est le renversement, l’inversion, la confusion, l’union (le mythe de l’androgyne est explicitement évoqué), mais aussi la subversion des genres. Et l’inversion touche aussi, sans surprise, le grand modèle mythologique du roman de Rachilde.

Monsieur Vénus c’est en fait, d’une certaine manière, aussi une réécriture de Mythe de Pygmalion, mais doublement inversé : d’abord parce que Pygmalion, l’artiste, est Raoule, une femme. Et aussi parce qu’ici, en parfaite adéquation avec cette passion pour l’artificialité du littérature décadentece n’est pas l’œuvre d’art que l’on veut faire vivre, mais c’est la vie qui est mécaniquement reconstruite : le roman se termine en effet avec un mannequin équipé « d’un mécanisme à ressort, placé à l’intérieur des hanches », qui « correspond à sa bouche et la fait bouger tout en lui faisant écarter les cuisses” (et en plus de la décadence il y aura peut-être en jeu une obsession érotique renversési l’on retrouve ce même renversement du mythe dans Autopsie de l’obsession De Walter Siti?).

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Ce désir est aussi un forme de violencenon seulement dans les rôles sadomasochistes joués (et vécus en chair et en os) par Raoule et Jacques, ni dans la mort violente de ce dernier. Celui de Monsieur Vénus c’est aussi une envie clairement chic: c’est une noble qui, grâce à sa puissance économique, peut séduire et transformer un jeune prolétaire. Ce « frisson de dégoût » que Raoule éprouve en examinant le grenier où il rencontre Jacques à la première page du roman fait bel et bien partie de son désir (qui est aussi un désir de possession, étant Raoul le maître et Jacques est esclave). Et finalement la beauté de Monsieur Vénus réside précisément dans ses ambiguïtés, dans la manière dont il complique et réfracte les mécanismes de la pulsion érotique sur grandes oppositions binaires de la culture moderne.

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