Les fermes et les cent identités de Naples

par Aurelio Musi

Naples et son ensemble forment aujourd’hui une ville de taille moyenne avec un peu moins d’un million d’habitants. Mais son aire métropolitaine constitue une grande agglomération, un continuum centre-périphérie non organisé et déséquilibré : « une province métropolitaine-napolitaine », comme l’écrit Giuseppe Pesce dans « Naples et ses hameaux. Itinéraires de l’arrière-pays métropolitain », éditeur Colonnais.

L’auteur s’insinue dans la relation complexe entre l’ancienne capitale du Royaume des Deux-Siciles, objet privilégié de l’historiographie, et son arrière-pays, beaucoup moins étudié, et apporte une contribution intelligente tant à la compréhension de la spécificité historique de cette relation et à l’explication des raisons qui ont empêché la création de « ce qui aurait pu être la plus grande zone métropolitaine du Sud et qui n’est aujourd’hui qu’une immense médina qui serre et écrase l’ancienne capitale. C’est l’autre face, c’est ce qui reste – mais c’est bien plus encore – de ce qu’on appelle Naplescentrisme: une métropolisation imparfaite qui depuis des décennies s’est déversée sur l’arrière-pays et la province trop plein de la grande ville » (p. 6).

En 1998, dans “Graffiti napolitain”, Raffele La Capria parlait d’une “Méga-Naples”, la seule ville italienne comparable à une mégalopole : une “banlieue africaine horrible et dégradée”. Le véritable problème insoluble pour l’écrivain napolitain était « le réaménagement de cette mégalopole qui remplaçait la ville du passé ».

Certains hameaux de Naples sont aujourd’hui des municipalités autonomes comme, par exemple, Caivano : et ils ne font l’actualité qu’en raison de la violence du crime organisé ou d’événements particulièrement brutaux. Mais chacun d’eux, comme le démontre habilement Pesce, a sa propre identité historique, faite de ressources matérielles et immatérielles, de vocations et de fonctions économiques, de culture artistique, de monumentalité civile et religieuse, d’esprit communautaire qui s’est sédimenté au fil du temps.

L’auteur propose quelques itinéraires le long des anciennes routes historiques qui partaient de Naples vers son arrière-pays. Sur la route de Caserta, nous rencontrons Secondigliano et San Pietro a Patierno, Casoria avec son glorieux centre industriel aujourd’hui abandonné, Caivano avec son château médiéval ; Afragola, une réalité urbaine bipolaire contradictoire, oscillant entre son château et la célèbre gare conçue par l’architecte Zaha Hadid, emblème des nombreuses « cathédrales dans le désert » que l’on peut admirer – pour ainsi dire – dans le Sud.

Sur la route de l’antique Atella, petite cité osque fondée au 4ème siècle avant JC. C., célèbre pour ses farces lascives d’Atellan, l’observateur est attiré par les chapelles rurales que l’on peut encore admirer à Casavatore, un centre agricole et commercial actif. Vous pourrez ensuite visiter l’ancienne ville de Frattamaggiore. Tout le monde ne sait pas que le véritable père de la pénicilline, Vincenzo Tiberio, vivait à Arzano. Trente ans avant le biologiste anglais Alexander Fleming, qui observait par pur hasard en 1928 une moisissure – le “penicillium notatum” – qui inhibait la croissance des bactéries, Tiberius, un jeune médecin, remarqua et étudia le pouvoir des moisissures. Contrairement à Fleming, dont les expériences furent décevantes – la pénicilline ne fut mise au point dans les laboratoires d’Oxford qu’en 1939 – Tiberius obtint des résultats très intéressants, mais peu médiatisés dans les milieux scientifiques internationaux.

Sur la Via di Benevento, l’ancienne Via delle Puglie, dans la vallée du Sebeto, nous rencontrons des fermes avec une forte tradition artisanale, en particulier des meuniers et des fontainiers. Tout le monde associe alors Acerra à la ville de Pulcinella et à la culture populaire à laquelle elle a donné vie.

Parmi les hameaux vésuviennes, se distinguent Sant’Anastasia et Pomigliano d’Arco : non seulement deux lieux symboliques d’une intense religiosité qui a absorbé différents éléments, grecs, latins, byzantins, donc baroques et les a fusionnés de manière syncrétique dans l’esprit de la tradition locale. populations, dans le culte de la Madonna dell’Arco, en pèlerinages à son sanctuaire, mais siège de l’industrie la plus importante du sud de l’Italie, Alfa Romeo. Son fondateur était Nicola Romeo, originaire de Sant’Antimo. L’aventure à laquelle l’entrepreneur a donné naissance deviendra une « histoire italienne » typique, comme l’écrit Pesce. L’Alfasud de Pomigliano représente l’innovation dans un contexte de retard, de malformation génétique, de distorsions du développement industriel du sud. Trois facteurs y ont contribué : le choix de participations étatiques visant à privilégier le Nord par rapport au Sud ; le conflit Alfa-Fiat, c’est-à-dire public-privé ; l’absence d’un réseau de petites et moyennes entreprises intégré à la grande industrie.

De nombreuses églises à Somma Vesuviana, à l’intérieur et à l’extérieur du village. Et de nombreux vestiges archéologiques comme la Villa Augustea, témoignage supplémentaire de l’antiquité historique de ces fermes.

Le volume se termine par le récit de deux centres vésuviennes particulièrement importants : Nola, demeure de Giordano Bruno, et Cimitile avec ses basiliques paléochrétiennes et la fête des Lys.

Un beau livre donc, qui contient une triste annexe : le récit des responsabilités politiques dans la dégradation de Naples et de ses hameaux. Naples ne croit pas à l’idée métropolitaine. « Il n’y a jamais cru et a préféré s’effondrer plutôt que de décentraliser vers l’arrière-pays les fonctions qualificatives du territoire. Mieux vaut vider les trop-pleins : les déchets éparpillés dans des centaines de petites décharges, les logements sociaux et post-séisme oubliés, les centres commerciaux qui encombrent des kilomètres d’autoroute le week-end” (p. 187). Mais l’hinterland a aussi ses responsabilités. Le gouvernement local repose sur des panneaux électoraux petits et grands, sur des « seigneurs du vote et des cartes », sur l’absence de lieux et d’opportunités de débat politique. Et les gens respectables ferment la porte lorsqu’ils rentrent du travail : « sans savoir que derrière cette porte, sur leur silence, sur leur méfiance, sur leur indifférence, sur cette chose qu’ils ressentent au creux de l’estomac, Naples, la grande métropole , reste debout. Et quelqu’un (la Camorra, la mauvaise politique, les profiteurs de tous bords) construit son propre empire. »

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