la marque fond sous la chaleur

la marque fond sous la chaleur
la marque fond sous la chaleur

A Naples, l’art public n’a jamais eu une vie facile. En effet, il a dû continuellement lutter et surmonter de nombreuses épreuves : environnementales, sociales et culturelles. Les lazares, les gamins des rues, les classes populaires (mais aussi simplement les vandales et les immoraux) ont toujours considéré la ville comme un terrain de contestation contre ceux qui ont eu (de droit ou de privilège) le droit de décider (lire d’imposer) les images, iconographies, symboles valables pour toute la communauté de la ville.

Et de nombreux malheurs sont arrivés non seulement aux œuvres d’art mais aussi aux inconvénients subis par ceux qui en étaient responsables. Certains, les plus connus. La grande statue en plâtre du roi Charles de Bourbon sur le Largo del Mercatello (aujourd’hui Piazza Dante), démolie à plusieurs reprises par des inconnus et reconstruite à plusieurs reprises par les conservateurs de l’ancien marché de quartier. L’installation de l’artiste en 2002 sur la Piazza Plebiscito Rebecca Cornequi n’avait pas prévu les vols de nombreux exemplaires des 333 capuzzelles (crânes) en fonte disposées à la surface de la célèbre place monumentale.

Ou comme le fameux incendie il y a un an de la copie géante de Vénus des haillons de l’artiste Michel-Ange Pistolettopromptement, obstinément, reconstruit par l’administration municipale de Gaetano Manfredi. Encore un exemple de ville qui sait accueillir et rejeter, soulever ou démolir (ce n’est pas un hasard si le graffeur Joril’artiste des peintures murales de visages marqués de lignes rouges, aimé et respecté du peuple, n’a presque jamais eu de problèmes de vandalisme).

Mais cette fois, ce qui a fait obstacle n’était pas un acte délibéré, un accès de colère ou une volonté de s’approprier une œuvre d’art rare. C’est le Soleil qui a gâché le travail. Oui, le Soleil de Naples. Juste lui. Ô mon Soleil. Oui, car en moins d’une semaine il a fallu boucler “Brand Napoli”, une installation de 12 panneaux en acier inoxydable et verre réalisée par l’architecte Marco Tatafiore qui représentent les six lettres du mot « Napoli ».

La forte chaleur a d’abord provoqué une surchauffe et une dilatation des panneaux puis a fissuré à certains endroits les matériaux qui composent les lettres. Située sur la Piazza Municipio, près de la Via Acton, à un endroit où il est possible d’admirer simultanément le golfe de Naples, le Vésuve et le Maschio Angioino, l’œuvre doit accueillir les touristes/croisiéristes arrivant des grands navires amarrés au Molo Beverello.

Le projet, créé par Intersport Pubblicità di Marco Cicala, a été réalisé (lire le communiqué de presse de la municipalité) dans le but de « promouvoir davantage » la ville et son image. C’est l’adverbe qui choque. C’est comme si déjà dans la communication institutionnelle il y avait une conscience d’une certaine surcharge émotionnelle, d’un certain abus médiatique.

Et, ajoutons-nous, aux limites du médiumnisme. Le caractère sacré de San Gennaro di Jorit et Dios Maradona dans les Quartieri Spagnoli ; le nectar céleste de la pastiera mais surtout des taralli au suif et au poivre ; du feu sacré de la pizza jusqu’à la majesté topologique du Castel dell’Ovo et du plus beau palais d’Italie, le Palazzo Donn’Anna.

Ce sont les images qui ressortent dans les six panneaux arrière de l’installation, qui expriment une friture napolitaine à la fois anthropologique et magique, le menu définitif du touriste avide d’émotions (ou affamé de tout court) qui, dès qu’il débarque de les méga-navires, peuvent déjà goûter les plats , les feuilleter dans ce mémo-journal qui a coûté plus de 200 mille euros et est déjà un peu déchiré sur les bords.

En effet, plus que déchiré « fondu », voire « égoutté ». En fait, quiconque a visité Naples ne peut oublier le putridarium, les cryptes de certaines églises anciennes (Santa Maria della Sanità, Sant’Anna dei Lombardi, Santa Luciella et autres) où les corps des notables étaient littéralement laissés à l’égout (nettoyés de leurs liquides, entrailles et organes) assis sur les girolles, sièges en tuf équipés d’un trou d’évacuation. Une pratique répandue notamment au Moyen Âge et qui symbolisait un rite de passage du corps, séché et purifié par les dégâts de la chair.

Ici, si à Naples on s’approprie certains symboles (la sainteté, la ritualité de l’alimentation et le pouvoir symbolique des ossuaires, comme celui des Fontaines représentées dans l’un des panneaux), si l’on choisit de jouer son jeu dans un cadre mystique et mystérieux , alors nous devons être conscients d’entrer dans un autre paradigme physique, dans un cercle symbolique d’actions et de réactions alternatives, où l’épiphanie s’ajoute au phénomène. Aux limites de la transcendance comme du sentiment populaire. Comme cela arrive avec la liquéfaction du sang de San Gennaro. Ou comme une feinte de Maradona, « Ça fait fondre le sang dans tes veines ».

Alors est-il bon de prendre ce petit événement arrivé aux panneaux Tatafiore comme un « avertissement », comme un mauvais présage ? N’exagérons pas. Naples est le pays de l’excès, de l’exagération, de l’humour et de la douceur. Peut-être était-ce exagéré d’écrire NAPLES au milieu de Naples ? Peut-être était-il inutile de rappeler une nouvelle fois, s’il en était besoin, les lieux, les symboles, les plats, qui sont désormais sur toutes les lèvres et dans tous les yeux ? Peut-être que la construction d’une installation métallique dans la ville la plus chaude d’Europe était une imprudence plutôt qu’une négligence de conception ? Peut-être. Bref, nous prenons ce phénomène de fonte comme un jeu, comme un doux avertissement.

Au bas de Naples, chez les vicaires comme dans les grands boulevards, on souhaite et espère toujours la ciorta, bonne chance à tous. Tout ira bien, tu verras. C’était peut-être l’espoir de l’artiste et de l’administration. Que tout s’est bien passé. Dans un geste, le plus napolitain qui soit. Faites confiance à la chance et bonne chance. Voeux.

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