Libertines – Tout tranquille sur l’esplanade de l’Est – Avis

Peter Doherty Et Carl Barâtfondateurs et principal auteur-compositeur de Libertins, au début de leur carrière, en gamins tarentuleux, exubérants et pointus, ils donnaient des interviews dans lesquelles ils s’extasient longuement et avec nostalgie sur un tel navire Albion – nom archaïque de la Grande-Bretagne – dont ils étaient, selon eux, les timoniers. Ils ont dit qu’ils navigueraient vers Arcadia, le pays où le rock’n’roll est tout ce qu’il y a à faire, et où « les cigarettes poussent sur les arbres et les bancs sont en denim » (John Hassal, NME, 2002). Mais le glorieux Albion a toujours été un navire singulier. Naviguez uniquement sur les mers agitées.

LE Libertins lors de leur première série, de 1997 à 2004, ils ont prospéré grâce à un élan créatif dangereux qui ne faisait qu’un avec le chaos, motivé par la relation amour/haine entre Pierre Et Carl, fait de jalousies et de protagonistes alternés sur scène, des habitudes toxiques de Pete avec le crack et l’héroïne qui ont conduit Carl à l’évincer du groupe ; le summum est Pierre que, pendant que Carl alors qu’il est en tournée au Japon, il est arrêté pour avoir volé dans son appartement une guitare vintage, un harmonica et un ordinateur. Cette tension persistante a donné lieu à des débuts percutants comme Vers le haut du support et au suivant Les Libertins, qui est resté pendant des années au sommet des charts britanniques, dont les séances étaient présidées par des gardes du corps pour empêcher les deux de se sauter dessus. Aussi Hymnes pour la jeunesse condamnée de 2015 seconde Barat il est « né de complexités ». Un groupe qui a transformé sa propre spirale d’autodestruction en œuvre d’art, la représentant souvent dans les chansons elles-mêmes : “Une fin digne du début, tu t’es tordu et déchiré notre amour” chantent-ils. Carl dans Je ne peux pas me supporter maintenantpour avoir des nouvelles Pierre “Non, vous l’avez mal compris, vous m’avez fait taire et vous avez imputé la faute au brun”. Des étincelles comme dans les amours les plus dévorantes.

La question se pose spontanément : Qu’est devenu les gars probables? Neuf ans après le dernier album, maintenant que Pierre il a arrêté de consommer des drogues dures, les remplaçant par la seule chose qui se compare vaguement, à savoir de fortes doses de glucose et de graisses saturées ; maintenant que cette époque agitée et turbulente n’est plus qu’un souvenir et qu’il y a des femmes et des enfants en jeu ; maintenant que les eaux sont calmes, où peuvent accoster deux marins qui ne naviguent que lorsque la mer est agitée ?

Les deux abordent des questions comme celles-ci de front dans l’album. Cours Cours coursqui a la sensation tremblante et tapageuse d’un hit de Vers le haut du supports’ouvre sur les mots “C’est le projet d’une vie sur les cils”, une vie qui boit comme des éponges, mais ensuite dans le refrain ils chantent “tu ferais mieux de courir, courir, courir, plus vite que le passé […] si tu veux que la nuit dure ». “La pire chose”, dit-il Barât sur la chanson, “il serait coincé dans une routine run-run-run, essayant constamment de revivre notre passé.” Traces du Libertins il y en a encore dans la vingtaine Oh merde par exemple, qui s’avère cependant moins efficace et moins authentique, comme si la frénésie chaotique des débuts était reconstituée de manière fausse et artificielle. Mais le reste de l’album semble pouvoir échapper au piège du passé.

Changer mais sans se trahir, tout est là : les points fixes sont restés, comme l’obsession du Anglais et le regard sociologique et cynique sur les déformations caricaturales du pays – et la pochette de l’album en contient déjà un échantillon humain : cette fois, nous nous tournons vers l’Angleterre post-Brexit, une belle-mère aussi infâme et triste que la buveuse d’absinthe de Degas. Tout est calme sur l’esplanade de l’Est: maintenant que le front s’est arrêté, nous restons aux aguets pour observer, sur la terrasse victorienne des Albion Rooms Studios, au 31 Eastern Esplanade, à Margate, sur la côte du Kent.

Dans MustangPete peint Traci, une mère ouvrière mais fière dans son survêtement Juicy Couture, qui boit un verre pendant que les enfants sont à l’école et rêve de conduire une Mustang tous les soirs. Joyeuse vieille Angleterre il s’agit plutôt d’une chanson de bienvenue ironique pour les immigrants syriens, irakiens et ukrainiens. Félicitations pour ce voyage sinueux ; bienvenue là où il n’y a que des résidus de paquets de chips et des flaques d’eau sur le sol, et où les falaises de craie, autrefois blanches, deviennent grises à cause du sodium. Et s’il n’y a rien de nouveau sur le front de Margate, des guerres se déroulent plus à l’est de l’Esplanade Est : Avoir un ami fait référence à l’invasion russe de l’Ukraine et au bombardement d’Odessa, sur la mer Noire : « Suivez les traces dans la boue jusqu’à là où la mer est noire de sang / Et les larmes, comme les bombes, tombent sans prévenir ».

Phrases pleines d’esprit qui stimulent l’intellect, classique Libertins, mais c’est en musique qu’on s’éloigne de la formule éprouvée. Flashs d’expériences insolites : Griffe du baron s’allume avec un phrasé de trompette de jazz, tandis que Soyez jeune fait une incursion dans le rythme reggae. Le rock garage délabré est repoussé aux marges et les ballades audacieuses au tempo moyennement lent occupent le devant de la scène, voyageant accompagnées de sections de piano et de cordes épiques. C’est le cas du poignant et sombre La nuit du chasseur« un conte shakespearien de sang et de vengeance », comme il l’appelait Pierre, dont la mélodie va jusqu’à citer le Lac des Cygnes de Tchaïkovski. C’est le cas de Frisson, qui s’enroule dans un cercle harmonieux presque pour imiter la décadence de la bien-aimée Albion. “Liz est partie”, dit-il Pierre en pensant à feu Elizabeth II, « la courtisane géante aux petites mains ». La monarchie est impuissante face au déclin des empires, et ne reste qu’une résignation frissonnante : « laissez-la mourir, asseyez-vous, profitez de la balade ».

Doherty Et Barât ils ont donné une autre forme à ce qu’ils font de mieux : raconter des histoires. LE Libertins ils ont commencé par mettre en musique leur vie maudite. Cet album prouve qu’on peut écrire de bonnes chansons même si on ne vit pas les histoires soi-même et à ses propres frais comme des bandits, et qu’on ne se drogue pas et ne vole personne. Nous racontons simplement avec une mélodie en dessous.

Dans L’homme à la mélodie – une chanson astucieusement construite, au rythme d’une boîte à musique sinistre qui s’ouvre sur des passages épiques au milieu du couplet – pour éloigner à la fois les « anges du ciel » et les « démons de la mer », Pierre chante : « Non, tu ne peux pas m’attraper, parce que j’ai la mélodie ». Un conteur qui a navigué parmi les vagues, vous pouvez l’attacher à une jetée du port, mais vous ne le tuerez pas. Vous ne le tuez pas tant qu’il a une guitare et quelque chose à raconter.

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