Quand l’histoire devient un entrepôt d’anachronismes

Le fait que le ministre italien de la Culture ait déclaré que Christophe Colomb était influencé par les idées de Galilée pourrait être qualifié de gaffe mineure. Cela arrive à tout le monde de se perdre au sujet d’une date. C’est pourtant une gaffe qui mérite qu’on s’y attarde, car elle révèle une attitude, une manière de penser l’histoire.

L’erreur chronologique n’est pas très intéressante : Colomb a traversé le continent américain en 1492, tandis que Galilée est né en 1564. Considérons cela comme une erreur vénielle. Bien plus grave est le manque de sens historique que révèle cette erreur, c’est-à-dire le manque de conscience que le monde dans lequel vit Colomb crée les conditions – mais est également très différent – de celui dans lequel vivra Galilée.

LE MONDE DE COLOMBO est celle de Léonard : la Renaissance et le déclin des somptueuses seigneuries du XVe siècle italien, sur fond de marginalisation économique progressive de la Méditerranée. Le monde de Galilée est celui d’une Europe baroque et absolutiste, et d’une Église qui a perdu son unité. Des guerres d’une violence sans précédent déchirent le continent, tandis que les empires coloniaux et leurs capacités extractives se consolident. Confondre ces moments signifie n’avoir aucun sens de l’histoire italienne et mondiale, et donc des processus à long terme qui ont constitué le monde dans lequel nous vivons.

Mais quelles étaient les théories de Galilée qui auraient pu inspirer Colomb ? Comme beaucoup l’ont noté, il est clair que le ministre fait ici référence au fait que Galilée affirmait que la Terre était sphérique et donc circumnavigable. Ce n’est pas un hasard si, dans sa déclaration, il fait référence à une confrontation entre Colomb et « l’Inquisition espagnole » qui, aveuglée par l’obscurantisme, a tenté de l’arrêter.

MAINTENANT, LA CIRCONFÉRENCE La Terre a été mesurée avec une précision surprenante par Érastothène au troisième siècle avant JC. Depuis lors, le fait que la Terre soit une sphère ou un sphéroïde fait partie du bagage culturel des élites chrétiennes, juives et islamiques qui s’en inspirent. canons de la tradition classique. Colomb, quelques années avant son voyage, ne rencontra pas des membres de l’Inquisition espagnole, mais un comité d’experts réuni par le roi Ferdinand II d’Aragon à Salamanque, alma mater des universités ibériques, pour juger de la faisabilité de son projet. Il s’agit pour la plupart de professeurs d’université, souvent membres d’ordres monastiques, et d’ecclésiastiques importants.

Colomb n’a pas à les convaincre que la terre est ronde, mais qu’il est possible d’atteindre les Indes dans un temps relativement court et d’ouvrir une route commerciale plus commode que celles qui existent déjà.
Les experts en doutent, et ils ont raison : Colomb sous-estime fortement la taille de la Terre, en s’appuyant sur sa réinterprétation personnelle de certains textes de géographie. S’il n’était pas tombé sur les Caraïbes, sa mission se serait soldée par un échec coûteux.

LE MYTHE D’UN COLOMBO Le conflit entre les Proto-Lumières et une Inquisition obtuse et plate n’est pas une invention récente, mais est consolidée dans l’historiographie anglo-américaine du XIXe siècle. Il s’agit d’une invention positiviste qui vise à discréditer l’Église catholique et à réduire le rôle des pays catholiques dans la révolution scientifique, affirmant au contraire la primauté de l’Angleterre et des États-Unis. L’ironie d’un souverainisme historiographique local qui poursuit inconsciemment un modèle anglo-saxon et anticatholique ne peut être ignorée.

Mais, au-delà des subtilités historiographiques, des affirmations comme celles commentées ici révèlent une vision de l’histoire non pas comme une reconstruction des processus sociaux qui ont produit la réalité dans laquelle nous évoluons, mais comme un réservoir d’images, d’anecdotes, de drapeaux à agiter. Ce sont des matériaux hors contexte, dont le caractère mythologique et kitsch a été bien décrit par Furio Jesi dans ses études désormais classiques sur la culture de droite. De ce point de vue, l’anachronisme n’est pas un problème, encore moins une erreur d’interprétation : ce qui compte, ce sont les « valeurs » véhiculées par un langage fait de slogans et de simplifications : en l’occurrence, l’italianité, le génie italique, le fait que la modernité, quelle qu’elle soit, c’est-à-dire que nous avons tout fait à la maison.

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