Les ombres françaises sur le ciel d’Ustica : le massacre il y a 44 ans

Nous sommes le 12 juillet 1980. Deux semaines plus tôt, un Itavia Dc9 reliant Bologne à Palerme, avec à son bord quatre-vingt-un civils, avait été abattu dans le ciel d’Ustica. Quelques jours plus tard, à la mi-juillet, un Mig-23 libyen s’écrasait dans les montagnes du Sila. Trois semaines plus tard, le 2 août, une bombe détruit toute l’aile gauche de la gare de Bologne, faisant quatre-vingt-cinq morts et plus de deux cents blessés.

Mais nous sommes toujours le 12 juillet 1980 et Sandro Pertini, président de la République italienne, est en vacances dans les montagnes d’Entreves, dans le Val d’Aoste. Il va manger dans un restaurant fréquenté également, trois fois par an, par le président français Valéry Giscard D’Estaing. Pertini est entouré de locaux qui ont peur et se demandent si la menace de terreur et de guerre va cesser.

«Je ne suis pas ici pour prédire l’avenir», répond le président, mais il continue: «Nous avons le terrorisme et certains dirigeants étrangers qui regardent l’Italie avec dédain… ils devraient se demander pourquoi l’Italie a été choisie comme cible.» . L’Italie est un pont démocratique qui unit l’Europe à l’Afrique et au Moyen-Orient. Si, par un sacré hasard, ce pont démocratique venait à exploser, les conséquences seraient graves : le bouleversement des équilibres du bassin méditerranéen et un danger pour la paix mondiale. »

Une femme le presse : « Vas-y. Et Pertini explose : « Si le pont démocratique que représente l’Italie explose, ni la France, ni l’Allemagne, ni l’Angleterre ne pourront se réjouir. Soyons clairs. Et dites-le à M. Giscard D’Estaing.

L'ancien président français Valéry Giscard d'Estaing
L’ancien président français Valéry Giscard D’Estaing, photo Ap

QUE REPLISEZ-VOUS Pertini à Giscard ? Uniquement l’hospitalité offerte aux terroristes rouges italiens ayant fui vers la France ? Ou est-ce que quelque chose d’anormal s’est produit, dû à une faute française, dans le ciel d’Ustica, deux semaines plus tôt ? Difficile de le savoir.

La première fois que la France a été mise en jeu dans le massacre d’Ustica, c’était au lendemain des faits. Un appel téléphonique au siège romain de Corriere della Sera il accrédite Marco Affatigato comme membre des Nar, les néofascistes des noyaux armés révolutionnaires, et le raconte en embarquant sur le vol Bologne – Palerme. «Vous la reconnaîtrez à la Baume & Mercier», la marque horlogère française. Mais le terroriste lui-même s’empresse, par l’intermédiaire de sa mère, de le nier. Il est bien vivant en France. C’est une mauvaise direction, ça ne compte pas.

Mais entre-temps, l’attention immédiate est dirigée vers une bombe, les Nar sont considérés comme des bombardiers et l’arc géopolitique se dirige vers le nord-ouest.

LA DEUXIÈME FOIS, l’affaire est plus grave. Le 17 décembre 1980, le journal britannique Norme du soir publie la nouvelle d’une “source romaine” selon laquelle le DC9 Itavia aurait été abattu par erreur lors d’un exercice par un missile lancé depuis un avion militaire décollant d’un porte-avions français : “On pense que le missile a accroché les moteurs du les DC9 par erreur, qui étaient plus puissants que ceux de la cible radio, la vraie cible”,

une page de l'affiche du 28 juin 1981, un an après le massacre d'Ustica, qui parle d'un missile
l’affiche du 28 juin 1981, un an après le massacre d’Ustica, rapporte avec force détails l’hypothèse américaine d’un missile « non italien et non américain »

En réalité, la France était impliquée dans l’affaire dès le soir même du massacre, sauf que les magistrats et l’opinion publique devront attendre des années pour le savoir. La nuit même de l’accident, le capitaine Giancarlo Trinca, deuxième pilote du premier hélicoptère de sauvetage aérien qui a décollé de Ciampino, a entendu le Clemenceau, le porte-avions de la bleusur la fréquence aérienne internationale d’urgence, 6715 du réseau SiprNet.

Un torrent de communications que l’on entend également au centre secondaire de secours de Ciampino, avant et après l’abattage du Dc9, par le sous-officier Massimiliano Bozicevich. Ils parlaient tellement que nous ne pouvions pas communiquer avec notre hélicoptère, Bozicevich témoignera devant les magistrats des années plus tard.

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Nous aurions pu, nous aussi, écouter le torrent de mots anglais. Sur les huit enregistreurs audio du centre de contrôle aérien de Ciampino, un est dédié aux communications de sauvetage sol-bord-sol. Mais l’enregistrement du sauvetage, ainsi que d’autres enregistrements enregistrés ce soir-là à Ciampino, ne sont jamais parvenus aux experts et aux magistrats. Apparemment, trois sur huit sont arrivés.

Transports nationaux. Safety Board of Washington, sur l’affiche du 28 juin 1981

L’explosion du DC 9 de la compagnie Itavia dans le ciel d’Ustica a été provoquée par «un objet non identifié qui a traversé la zone de l’accident d’ouest en est à grande vitesse et à peu près au même moment où l’accident s’est produit»… . il reste à déterminer la nature de l’objet non identifié qui est entré en collision avec le DC 9. L’hypothèse d’un missile lancé par erreur depuis un chasseur non italien et non américain est avancée.

QUAND LES JUGES LE SAVENTlors de l’enquête, l’existence de communications concernant Clemenceau, ils demandent des retours à Paris, qui dément : leur portes d’aviation, Foch et Clemenceau étaient au port de Toulon le 27 juin. Cependant, les données ne concordent pas parfaitement. Par exemple, jusqu’à Cols Bleusmagazine officiel de la marine française, le Foch ne paraît nulle part, au port ou en mer, pour la journée du 27.

Paradoxalement, alors que les USA ont pris soin de nier d’emblée toute implication de la Marine (mais attention, ce déni n’inclut pas l’USAF qui subissait à l’époque un transfert massif d’hommes et d’avions des Etats-Unis vers l’Egypte), le La France n’ouvre pas la bouche.

Il faudra attendre le 4 septembre 1986 pour que le directeur du Sismi demande officiellement des comptes à son homologue français. Deux semaines plus tard, le SDEC répond que la chute de DC9 ne constitue pas une « affaire de terrorisme » et ne dispose donc d’aucune information.

Ce n’est pas du terrorisme. Est-ce peut-être une affaire d’État ?

Le directeur du Sismi à cette époque était l’amiral Fulvio Martini. Entendu à la Commission des massacres en juin 1990, l’amiral a déclaré, en réponse à une question, que dans cette zone un missile ne pouvait “être qu’américain ou français”. À ce moment-là, les commissaires lui ont demandé s’il avait mené des activités spécifiques sur les États-Unis et la France et Martini a déclaré : « Pour ce faire, j’aurais dû être activé par des politiciens », ce qui signifie que ce n’est pas le cas.

PARIS EST DE RETOUR avec force en jeu lorsque le juge Priore rassemble les trajectoires radar de Ciampino et de Poggio Ballone, qui surplombent toutes deux la mer Tyrrhénienne centrale. Et puis un grand nombre de traces sont découvertes en mouvement, décollage et atterrissage, depuis la base voisine de Solenzara, en Corse.

Décollages confirmés par le général des carabiniers Nicolò Bozzo, en vacances ce soir-là avec son frère, dans la localité de Solenzara. A cela il faut ajouter le mouvement circulaire d’un avion radar Awacs au-dessus du détroit de Bonifacio ou des Apennins centraux. Des mouvements aériens qui avaient été officiellement démentis auparavant (« La base ferme à 17h ») et qui ne seront jamais expliqués par les autorités françaises.

AINSI QUE la demande rogatoire visant à en savoir plus sur un vol dont parlaient les radaristes peu après l’accident restera sans réponse. Il s’agit de 5ADDY, un Beechcraft 200 officiellement utilisé comme Ambulance Aérienne, dont le nom en dirait long si ce n’était le contraire, car en fait il s’agit d’une petite compagnie basée en Suisse utilisée par les renseignements libyens et qui suit une route allant d’Ajaccio à Tripoli. Pourquoi s’embêter avec un petit avion ? L’hypothèse de la responsabilité française dans le massacre repose également sur l’hypothèse que Kadhafi était en fuite ce soir-là et qu’il était la véritable cible. Il est donc important de rechercher tout avion à bord duquel le dirigeant libyen aurait pu voyager.

Que les cousins ​​français n’aient eu aucun scrupule à agir sur le territoire italien à l’époque est prouvé par une série de faits.

Le 14 août, une série de bombes a fait exploser les liaisons radio d’une société de l’île d’Elbe qui dessert également Radio Corsica International. Il est soupçonné d’être l’œuvre des services de Paris. Toujours en 1980, à Gênes, le navire libyen Dat Assawari a subi une attaque revendiquée par un insaisissable FLM, à savoir le Front de libération maltais. Acronyme derrière lequel semblent se déplacer les services secrets français et anglais.

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Mais revenons à Pertini. Immédiatement après le massacre de la gare de Bologne, le 2 août, Kadhafi lui a adressé un message de condoléances que le président italien a décidé de ne pas rendre public, au « regret particulier » du colonel. C’est ainsi que l’ambassadeur d’Italie à Tripoli, Alessandro Quaroni, décrit l’humeur de Kadhafi, dans un télégramme crypté du 14 septembre 1980 envoyé à la Farnesina : le « colonel – dont la presse italienne est abondamment traduite – a été frappé par l’absence de mention du message. de condoléances au Président Pertini”. Ceci est également contenu dans le dossier Ustica déclassifié par Matteo Renzi.

Bref, les événements survenus dans le ciel entre Ponza et Ustica sont certes complexes. Comme le disait Rino Formica à La Stampa en 1990, « cet accident couvre quelque chose de plus important que l’accident lui-même… Je ne veux pas dire que le Dc9 a été abattu intentionnellement, mais si c’était un accident, ils ne voulaient pas de le dire tout de suite car, évidemment, la cause est encore plus dramatique que la tragédie.” Formica était le ministre des Transports à qui le directeur du registre aéronautique italien, Saverio Rana, immédiatement après les événements, avait montré la trace radar de Ciampino montrant la manœuvre d’attaque d’un chasseur et d’un deuxième avion en fuite.

Les décennies passent et le doigt socialiste sur les Français, d’abord soulevé par Pertini, est à nouveau pointé par Giuliano Amato qui, en septembre de l’année dernière, demande au président français Emmanuel Macron de reconnaître le gâchis prétendument commis par son prédécesseur Giscard.

(3 – fin)

Les épisodes précédents ont été publiés sur le manifeste du 25 juin et 26 juin 2024

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