Tadej Pogacar, les exploits et la vie («banale») du héros cycliste total : «Il dégage une aura inimitable»

Tadej Pogacar, les exploits et la vie («banale») du héros cycliste total : «Il dégage une aura inimitable»
Tadej Pogacar, les exploits et la vie («banale») du héros cycliste total : «Il dégage une aura inimitable»

DeMarco Bonarrigo

Pour la science, il est tout simplement un extraterrestre comparé à tout autre cycliste actif. A 25 ans, il a déjà gagné plus que Merckx et Hinault, en fonction de l’âge. Et en dehors du cyclisme, il mène une vie « d’une banalité déconcertante » : sa compagne est également cycliste professionnelle (courtisée lors des rallyes). Portrait du phénomène qui a la possibilité de devenir le plus grand cycliste de l’histoire

Le 25 mai à 16h30, l’avant-dernière étape du Giro d’Italia s’est déroulée parmi des milliers de supporters sur ce Monte Grappa si cher au pays et maudit par les cyclistes pour sa dureté. La séquence la plus mémorable (un million de vues sur les réseaux sociaux en quelques heures) de trois semaines de course s’est matérialisée dans une courbe légèrement orientée vers la droite, non loin du sommet. Seul en tête sous le maillot rose et lancé à très grande vitesse vers le triomphe final, Tadej Pogacar était flanqué sur la droite d’un masseur. de son équipe prête à lui remettre une bouteille d’eau, à gauche par un garçon qui courait à ses côtés pour l’encourager. Avec un timing surréaliste et un seul geste de bras, Tadej a saisi la bouteille sans ralentir et l’a passée au garçon (Mattia da Vincenza, 12 ans, qui a failli s’évanouir d’émotion) lui donnant également un sourire. La légende du cycliste le plus fort de tous les temps s’écrit depuis quatre saisons, celle du Héros Souriant s’est concrétisée pour la première fois sur le Monte Grappa.

L’histoire des héros du pédalage

L’histoire du cyclisme regorge de héros. Des héros affligés de cannibalisme comme les suprêmes Eddy Merckx et Bernard Hinault, incapables de considérer l’adversaire autre chose qu’une proie à mettre en pièces.

Des héros au sourire triste et à la vie courte comme Fausto Coppi, au destin marqué comme Jacques Anquetil et Luis Ocaña. Des héros pharmacologiques comme Lance Armstrong, des tragédiens comme Marco Pantani. Dans les biographies de ces dizaines d’hommes qui ont fait des légendes, il y a souvent des connotations cyniques, mélancoliques ou tragiques.

Il y a maintenant lui, Tadej Pogacar de Klanec, Slovénie, né en 1998, qui a fait sa première apparition dans le monde des deux roues le 29 mars 2015 à Loano, dans la région de Savone, alors qu’il n’était qu’un adolescent. Poga apparaît aujourd’hui comme le premier champion capable de faire sortir le cyclisme des limites d’un accompagnement spécialisé, des pratiquants, des campeurs et des cyclotouristes qui font la queue pour applaudir au bord des routes, sur les ascensions mythiques des Alpes et des Pyrénées.

Le premier pour ne pas susciter de doutes dans un monde où trop souvent les ânes ont été transformés en chevaux pur-sang grâce à l’aide de sorciers complaisants et à une éthique très fragile : Lorsque Poga pédale, il respire une classe visible même pour ceux qui ne comprennent pas grand-chose ou rien au cyclisme. Un homme avec la popularité d’un as du football mais sans l’arrogance d’un Ronaldo ou d’un Messi qui respecte et honore chaque adversaire et qui admet toujours la supériorité de ceux (très peu, pour être honnête) qui le battent.

Les débuts à Loano

Dans ce City of Loano Trophy où il portait le maillot du Team Radenska, Pogacar a terminé 18ème : la plupart des 89 très jeunes qui ont participé à la course ont depuis longtemps quitté la compétition. Le cyclisme est si global, si brutal que si à 20 ans on n’a pas accompli quelque chose, il faut abandonner son rêve et tenter de terminer ses études négligées en s’entraînant six heures par jour ou de trouver rapidement un travail. Qui sait si Matteo Bellia ou Francesco Bonadrini qui s’est ensuite séparé de Pogacar puis, en deux ans, a raccroché son vélo et a également disparu des radars des sites spécialisés, ont réalisé qu’ils avaient battu celui qui est aujourd’hui déjà considéré comme le plus fort de chaque fois.

Champion dans toutes les courses

Faire comprendre la grandeur de Pogacar à un non-expert n’est pas très simple. Depuis maintenant 50 ans, la spécialisation domine le secteur des deux-roues. Soit vous gagnez les grandes courses par étapes (vous êtes squelettique, très agile, fort en montée) soit les classiques d’un jour (vous êtes puissant, agressif) ou les contre-la-montre (vous avez une masse musculaire notable, une énorme capacité de souffrance), combinant au plus deux qualités sur Trois. Soit vous montez vite, soit vous êtes acharné sur le plat. Les derniers héros totaux étaient, il y a près de 50 ans, le Belge Merckx, dit le Cannibale, et le Français Hinault. Fruits tardifs du cyclisme paysan et affamé des temps héroïques, prêts à tout pour humilier leurs adversaires, très sévères avec leurs partisans considérés comme de fidèles serviteurs d’une cause divine. Hinault qui s’est imposé en maudissant le tant détesté Roubaix afin de compléter son palmarès et de donner tort à ceux qui ne le jugeaient pas apte. Merckx qui encore – vieux et battu – regrette de ne jamais avoir remporté le Paris-Tour, l’insignifiante demi-classique qui est la seule qui manque à son interminable collection.

La montée au sommet de l’Olympe

A 25 ans, Pogacar a déjà – par rapport à son âge – gagné plus que tous deux : deux Tours de France, le dernier Giro d’Italia, trois des cinq classiques des monuments (Lombardie trois fois, Liège deux fois, Flandre une fois) et une infinité d’autres courses au calendrier, dans la quasi-totalité des cas avec un écart important. À la mi-juillet, il aurait pu réaliser le doublé Giro-Tour la même année (Pantani fut le dernier à le faire en 1998, en d’autres temps et autre cyclisme) en septembre, portez le maillot arc-en-ciel sur le très difficile parcours de Zurich.
Pour décrire les super pouvoirs de Pogacar, on peut bien sûr recourir à la science. Lorsqu’il pédale jusqu’à la mort en montée ou lors d’un contre-la-montre, dans chaque kilo de muscle du corps du Slovène, il y a presque un watt d’avantage sur ses rivaux les plus populaires : une F1 contre des voitures de sport de série. Quand les autres claquent, il marche et quand il claque, le reste du monde halète. Pour ceux qui ne s’intéressent pas aux watts, il suffit de le regarder : la bouche jamais dilatée pour chercher de l’oxygène, les épaules et les hanches qui ne se balancent pas en bas de la selle, le corps jamais affalé sur le guidon mais toujours penché en avant pour cherche avec ses yeux le point où il peut faire la différence, tel un félin sur le point de saisir sa proie. Stylistiquement, l’une des choses les plus sublimes qui soient.

Les duels impossibles

«Que Tadej soit un champion», explique Guillaume Martin, un coureur français qui écrit des essais philosophiques comme Socrate à pédales «On le voit aussi lorsqu’il marche ou dans les moments les plus calmes de la course, lorsqu’il remonte le groupe après être allé chercher une gourde dans la voiture. Il dégage une aura incomparable. Étant mon adversaire, l’idée de le considérer comme ayant des super pouvoirs est contre-productive et méthodologiquement erronée mais il y a des moments où je ne peux m’empêcher de le faire.” Quand Pogacar sprinte réellement, quiconque tente de le suivre se blesse. Le fort Danois Mattias Skjelmose s’est essayé lors du dernier Liège-Bastogne-Liège, expliquant poétiquement qu’il «a payé un lourd tribut à l’effort : si on s’approche trop du soleil, on risque de se brûler». Et l’Australien Ben O’Connor l’a tenté lors du dernier Giro d’Italia, dans l’étape d’Oropa, en commentant de manière moins prosaïque que «En ayant fait une bêtise par pur instinct, j’ai pris le risque d’exploser et de finir là la course. Quand il part, il faut compter jusqu’à trois avant de faire quoi que ce soit. »

La poussée d’un petit et grand pays

Derrière Pogacar, il y a la formidable ascension de la Slovénie et de ses 2,1 millions d’habitants, une nation cycliste insignifiante jusqu’à il y a 15 ans, surtout comparée à ceux comme la France, l’Italie, la Belgique et l’Espagne qui pensaient détenir une sorte de pouvoir héréditaire dans le monde à deux. roues. Alors que nous, Italiens, retraité Vincenzo Nibali, nous concentrons uniquement sur les exploits du chrono-phénomène Pippo Ganna, nos cousins ​​​​ont Pogacar, son ami adversaire. Primoz Roglic, qui a remporté trois fois la Vuelta, un Giro d’Italia et qui le défiera sur le Tour, et le funambule Mohorique qui a conquis Sanremo avec un exploit en descente. Nation où le sport est religion dès les quatre heures d’éducation physique scolaire obligatoire et où Pogacar en cyclisme et Doncic en basket ont remplacé les modestes héros du football qui disputent les Championnats d’Europe.

Vie privée

En dehors du cyclisme, Pogacar mène une vie d’une banalité presque déconcertante. Il vit à Monte-Carlo pour des raisons de commodité fiscale (les Emirats lui garantissent six millions par an rien qu’en salaire) avec Urška Žigart, également un cycliste professionnel, de deux ans son cadet, qu’il a longtemps courtisé lors des entraînements en haute altitude de l’équipe nationale slovène où le couple se rendait avec leurs compagnons dans le bus fédéral délabré. «La destination du voyage était Saint-Moritz», explique Poga, «mais après avoir découvert combien coûtent l’essence et les courses au supermarché, nous avons décidé de déménager à Livigno où je suis tombé amoureux d’Urška et de la Valteline». Les deux adorent les voyages hors de la ville (presque toujours à vélo) et les dîners à la maison entre amis où il s’improvise en tant que chef avec des résultats modestes, selon sa compagne.

Les objectifs à l’horizon

Pogacar ne fixe pas de limites mais a des objectifs précis. Demain 29 juin débute son cinquième Tour de France à Florence : il en a gagné deux, en deux il est arrivé deuxième derrière le diaphane Danois Vingegaard qui cette année partira (s’il part) désavantagé après le terrible accident de course du mois de mars, au Pays Basque. S’il remportait également le Tour, Poga serait le premier à réaliser un doublé après Marco Pantani, précisément, dans un monde du cyclisme où un tel exploit – en raison du niveau de compétition – est aujourd’hui considéré comme presque impossible. D’autres objectifs sont imaginables : le titre mondial est déjà concret cette année, la Vuelta peut facilement être prédite dans le futur. Des deux monuments classiques qui lui manquent encore, Poga s’est déjà rapproché de Milan-Sanremo mais n’a jamais abordé celui qui est le plus éloigné de ses mille qualités, Paris-Roubaix. S’il le voulait, pensent beaucoup, il n’aurait aucune difficulté à déchaîner l’enfer même sur les pavés, lui qui a dansé seul sur le chemin de terre pendant 80 kilomètres aux Strade Bianche de Sienne.

28 juin 2024 (modifié le 28 juin 2024 | 12:43)

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